Rudyard Kipling
03 Décembre 2023

La Loge de Réconciliation et la question d'un rituel autorisé

Extrait du Guide et Compendium des francs-maçons de Bernard E. Jones, pub 1950, pages 223-228

La Loge de Réconciliation, créée par les Statuts de l'Union de 1813, avait pour membres les deux Grands Secrétaires et neuf Frères de chacune des deux Grande Loge, mais dès l'année suivante, six en avaient déjà démissionné et dix autres Frères furent nommés. C’est cette loge qui arrangea les détails de l'assemblée au cours de laquelle l'union fut ratifiée, et furent tout particulièrement chargé de promulguer et de mettre en place un système établi sur des bases pures et intactes, afin que la pleine réconciliation, l'unité de serment, de règlements, d’usages, de langue et de tenue vestimentaire, puisse être rétablie dans le pays pour le bien de la maçonnerie anglaise. Elle exista jusqu'en 1816 et elle poursuivit dûment le travail qui avait été initié par la Loge de Promulgation ; mais dès lors, et on le comprendra, elle œuvrait et répétait une série de cérémonies pour affermir une Grande Loge dorénavant unie, là où la loge précédente ne travaillait que pour les « Modernes ». Elle révisa tous les diplômes et cérémonies dans un esprit de réconciliation et effectua un vaste travail pédagogique. Elle décida, par exemple, que les loges devraient envoyer un Maître et un Surveillant pour assister à une réunion de la Loge de Réconciliation, afin d'y apprendre le rituel dorénavant en usage et d'instruire les frères de leur loge à leur retour.

Durant le même temps, les membres de la Loge de Réconciliation ont visité de nombreuses loges et ont y donné des soirées d’instructions.

De nombreuses loges éloignées de Londres prenaient leur temps pour mettre leur pratiques en conformité, mais il existait néanmoins un réel désir dans toutes les loges rurales (country lodges) de se familiariser avec les nouvelles formes.

Jusqu'où la Loge de Réconciliation est allée dans le règlement des différences entre les deux fonctionnements [celui des Modernes, et celui des Anciens] ; si, dans l'ensemble, elle s'est prononcée largement en faveur du fonctionnement des « Antient », comme cela est  généralement admis ; et dans quelle mesure, le cas échéant, comme cela a également été suggéré, elle a aussi élaboré de nouvelles mise en place comme compromis pour faire face à des cas particulièrement difficiles – Dans les faits, on sait assez peu voire rien du tout, et ce ci malgré les affirmations de certains auteurs qui parviennent à donner l'impression qu'ils ont tout découvert. Rappelons-nous que la Loge de Réconciliation interdisait à ses membres, ou à toute personne assistant aux démonstrations, de prendre note de ses débats et traitait promptement tout contrevenant. Il y a toujours eu des objections à l'idée de retranscrire les cérémonies ou de les imprimer, et ce sera un sentiment toujours très présent jusque dans les premières décennies du XIXe siècle. En outre, il est assez peu probable qu’un membre de la Loge de Réconciliation ait pu conserver de sa dernière réunion un souvenir parfait des rituels montrés. H. Hiram Hallett souligne que son maître n'a présidé que neuf des vingt répétitions enregistrées, que les membres n’étaient pas toujours très assidus, qu'il pouvait y avait des intervalles de plusieurs semaines entre les répétitions, que des changements dans les détails étaient apportés de temps en temps et qu'il s’était déroulé plus d'un an pour atteindre la répétition finale.

Tout cela doit donc être gardé à l'esprit lorsque l'on prétend qu'un fonctionnement en particulier des cérémonies maçonniques est une reproduction fidèle des cérémonies approuvées par la Loge de Réconciliation. Il est tout à fait inévitable que les frères retournant après cette répétition finale dans leurs différentes loges, où ils devaient enseigner les nouvelles formes, et chacun d'entre eux eu une idée légèrement différente quant au rendu et à la formulation de certains détails. Cela explique facilement pourquoi, en 1819, certains frères ont déposé des accusations devant le Conseil des Affaires Générales [Board of General Purposes] lesquelles dénonçant les conférences qui étaient dispensées contrairement aux stipulations de l'Acte d'Union. Le Conseil, dans sa sagesse, a décidé que les accusations n'avaient pas été établies, le Grand Maître déclarant peu après que : "Il était d'avis que tant que le Maître d'une Loge observait exactement les us et coutumes du Métier, il était libre de donner les conférences dans la langue la mieux adaptée au caractère de la Loge qu'il présidait... " Cette opinion, qu’il ne faut évidemment pas interpréter de manière trop littérale, reste encore valable aujourd’hui.

Le rituel autorisé par la Grande Loge lorsque la Loge de Réconciliation eu terminé son travail n'a pas été imposé aux loges pour être universellement adopté, mais en ce qui concerne les Obligations du Premier et du Deuxième Grade et en ce qui concerne également l'ouverture et la fermeture de la Loge, les résolutions furent beaucoup plus précises. En ce qui concerne les obligations, il a été « résolu et ordonné que celles-ci soient reconnues et prises dorénavant, comme les seules obligations pures et authentiques de ces grades, et telles que toutes les loges dépendant de la Grande Loge devront pratiquer ». Il a aussi été ordonné d'utiliser et de pratiquer les cérémonies d'ouverture et de clôture, de la manière convenue par la Loge de Réconciliation. Pour le reste, les cérémonies ont été « approuvées et confirmées », mais encore une fois, rappelons qu'aucune trace écrite, si cela avait été le cas, d'aucune de ces cérémonies ne nous est parvenue.

Les frères aiment répéter qu’il n’y a pas de rituel autorisé. Mais n’est-ce pas là plutôt un détail technique, une sorte de fiction juridique, une formule de convenance ? Evidemment, il est vrai qu'à quelques petites exceptions près, aucun rituel écrit ou imprimé n'a été autorisé par la Grande Loge Unie, mais n'est-il pas également vrai de dire que la Grande Loge pouvait revenir dessus, comme elle l'a fait dans le passé, si l'on s'éloignait de l'essentiel du rituel ?

Une vision simple, et probablement la bonne, est que le rituel approuvé par la Grande Loge en 1816 est en réalité un rituel autorisé à l'usage des loges anglaises, toutes les variations pouvant exister dans les différentes loges n'étant pas essentielles et être limitées à des questions de détail. On objectera que l’utilité de cette déclaration est grandement facilitée par l’absence de toute trace écrite. On peut donc dire qu’il existe donc dans les loges anglaises un rituel essentiel, pleinement approuvé et reconnu par un usage régulier remontant aux premières années du XIXe siècle, transmis sans modification de génération en génération, mais sujet à de nombreuses variations insignifiantes.

Certaines Grandes Loges autorisent et délivrent le rituel à pratiquer dans leurs loges. Sous la Grande Loge écossaise, la situation, suggère-t-on, est la même que sous la Grande Loge anglaise, mais la Grande Loge irlandaise à mis en place ce que l'on appelle la Grande Loge d'Instruction, composée de son Grand Maître et de son adjoint, les Grands Surveillants, le Grand Trésorier, le Grand Registraire, le Grand Secrétaire, ainsi qu'un certain nombre d'Anciens Maîtres qualifiés. Ses décisions sur toutes les questions de rituels ou de cérémonies de l’ancienne maçonnerie de métier, lorsqu'elles sont approuvées par la Grande Loge, sont contraignantes pour chaque loge et chaque membre étant sous la juridiction irlandaise. Cette Grande Loge d’Instruction a le pouvoir de nommer des comités pour instruire toute loge sur la pratique de l'une des cérémonies "et cette instruction conjointe sera reçue... comme le fonctionnement autorisé et jugé correct par la Grande Loge d'Irlande". Son secrétaire a rang de Grand Officier, et ses membres ont le privilège de porter sur la poitrine gauche un bijou quadrilobe, qui doit être restitué au Grand Secrétaire en cas de cessation d'adhésion.

Dans le Grand Chapitre Suprême de Nouvelle-Galles du Sud, un comité sur les rituels à le pouvoir de décider de toutes les questions de pratique rituelle et de l'exactitude des insignes et du mobilier d'un chapitre. Certaines Grandes Loges américaines surveillent de près les rituels pratiqués dans les loges sous leur juridiction ; l'un d'eux délivrait une copie chiffrée du rituel à chaque Maître de loge, qui la transmettait dûment à son successeur. Les chapitres américains travaillent selon un rituel approuvé qui leur est délivré sous forme chiffrée.
Variations dans le rituel anglais

Les variations entre les différents rituels maçonnique sont un sujet de discussion sans fin entre les frères, dont quelques-uns peuvent parfois être tentés de considérer leur doxa comme de l'orthodoxie et celle de l'autre comme de l'hétérodoxie. S’il y a une chose qui est claire entre toutes, c’est que la Loge de Réconciliation s’est mise d’accord sur certains éléments essentiels, son motif impérieux n’étant rien d’autre que la nécessité de résoudre les différences existantes entre les pratiques de « Modernes » et celle des « Anciens », mais elle n’a pas soulevé plus de de questions, ni inscrit un rituel dans le marbre, mot pour mot. Les membres et les frères en visite sont allés depuis cette loge dans tout le pays et ont enseigné les usages selon leurs souvenirs. Il y a des raisons de croire que beaucoup de « concessions mutuelles » se sont déroulées officieusement et que les cérémonies, tout en conservant l'essentiel, ont considérablement dévié dans les détails au cours des dix années suivantes. Par conséquent, il est impossible de croire qu’un quelconque système rituel puisse dériver ligne par ligne, mot par mot, directement et sans altération, de la Loge de Réconciliation. C'est la conclusion à laquelle sont parvenus divers frères qui, à différentes époques, ont étudié la question. Parmi les nombreuses variations rencontrées dans le fonctionnement des différentes loges sur des questions de détail sans importance, il est impossible d’affirmer que certains, mais pas d'autres, ont l'autorité d'un usage immémorial.

Ces variations en elles-mêmes ont une valeur et présentent un intérêt particulier. "Je serais très attristé", dit un auteur, "si à un moment quelconque ma propre loge cessait d'investir son nouvel initié avec le joyau d'un apprenti entré, ou si une certaine partie du fonctionnement interne de la cérémonie d'installation particulière à cette province, devait devenir caduque." Un autre dit :
"Il est regrettable que de nombreux usages anciens du métier aient été progressivement abandonnés dans certaines de nos loges et soient maintenant pratiquement oubliés. L'Ordre perd avec ces anciennes coutumes et usages une partie de son caractère. Le mouvement visant à généraliser l'usage d'une forme particulière de working rend difficile pour certaines des anciennes loges le maintien de pratiques transmises de temps immémorial. Quelle que soit la valeur de l’uniformité dans certaines phases de la vie, elle tend à entraîner une perte de choses intéressantes et romantiques. "

Stability

La maçonnerie de Métier accorde une grande importance à deux working, à savoir Stability et Emulation. La Loge d'Instruction de Stability (souchée sur la Loge Stability, aujourd'hui n°217, anciennement une loge des « Anciens ») comptait parmi ses dix-sept fondateurs seize Frères de la Grande Loge des « Anciens », et elle fut fondée en 1817, un an après la Loge de Réconciliation qui avait terminé son travail. Trois membres de cette loge figuraient parmi ses fondateurs et auraient enseigné les formes et les cérémonies qui y étaient répétées. Au total, huit membres de la Loge de Réconciliation ont rejoint la Loge d'Instruction Stability à différents moments. Les différences détaillées entre son fonctionnement et celui de la Loge de l'Émulation sont nombreuses, mais peuvent difficilement être évoquées ici.

Émulation.

L'Emulation Lodge of Improvement a été fondée six ans plus tard que Stability, c'est-à-dire en 1823, sous la sanction d'une loge de Londres, une ancienne loge de souche « Ancienne », aujourd'hui la Royal York Lodge of Perseverance, No.7 ; mais en 1830, elle fut rattachée à la Loge de l’Unions, n° 256, autrefois une loge « moderne », sous laquelle elle est toujours souchée. Sur les vingt et un fondateurs, dix étaient du corps des « Anciens » et onze des « Modernes ». Malheureusement, ses premiers documents sont perdus, mais la loge a eu l'avantage de voir son histoire écrite par feu le frère Henri Sadler. À l'origine, cette Loge de Perfectionnement était destinée aux Maîtres Maçons et destinée uniquement à l'enseignement [Lectures], mais cinq ans ou plus après 1825, lorsque Peter Gilkes en devint le principal artisant, elle commença à enseigner les trois grades. Gilkes, né vers 1765 et mort en 1833, était un « moderne » initié dès 1786 qui se distingue dans l'histoire de la franc-maçonnerie comme un professeur de premier ordre. La loge fonde ses prétentions à la prééminence sur son attachement avec Gilkes, qui, rappellent les critiques, n'était pas membre de la Loge de Promulgation ou de la Loge de Réconciliation, mais qui fut visiteur de cette dernière une dizaine de fois. Peter GiIkes, en tant qu'instructeur, ne permettait pas le moindre écart par rapport aux formes établies, et aujourd'hui, le travail d'émulation est surtout connu pour son strict respect des détails et précision des textes, un point encore là sujet à la critique puisque selon laquelle il était presque impossible de repartir de la Loge de la Réconciliation avec le souvenir infaillible de chaque ligne des cérémonies. Pour cette raison, et pour la raison supplémentaire qu'il y a eu un écart de quelques années entre l'approbation du rituel du Métier et les débuts de l'enseignement d'Emulation, il peut légitimement y avoir un doute sur l'affirmation faite par le Frère Sadler, l'historien de la Loge, disant que la norme d'émulation est « fixe, inaltérable et inaltérable », mais reconnaissons que la même critique s'applique à toute autre norme.

Un compte rendu de la Loge de Réconciliation raconte sa propre histoire : « Frère – ayant offensé... en imprimant certains... tendant à transmettre des informations au sujet de l'enseignement maçonnique, doit-il être réprimandé pour cette offense… Le Maître [de la Loge] a fait exprimer en conséquence le profond sentiment de désapprobation ressenti par la Loge », et il entreprit de rassembler toutes les copies disponibles et de les placer sous la garde de la Loge de Réconciliation. Malgré cette expérience, cependant, des rituels manuscrits et imprimés ont commencé à apparaître peu après l'Union, mais c’était très mal vu par les loges. Nous avons déjà précisé la position de la Grande Loge d'Angleterre sur la question du rituel autorisé, et il s'ensuit naturellement qu'il n'y a jamais eu de rituel imprimé autorisé. Aucune règle de la Grande Loge ne fait référence à ce sujet.

Après un rituel irrégulier publié en 1826, ou un peu plus tard, le plus ancien rituel régulier était probablement les cérémonies de l'ensemble de la loge et les conférences sur la maçonnerie de Métier : tel qu'enseigné par feu P. Gilkes, ainsi que la cérémonie d'installation, publiée vers 1835, suivi en 1838 par A Series of Masonic Illustrations de George Claret, comprenant toutes celles enseignées par feu Bro. P. Gilkes avec bien d’autres. Il s’ensuit donc que les premiers rituels imprimés étaient l’émulation.

Le Text Book of Freemasonry (publié par Reeves et Turner, Londres, 1870) contenait les trois grades du Métier, la cérémonie d'installation, les trois conférences et, ce qui est le plus surprenant, la cérémonie d'exaltation à l'Arche royale. Dans la préface de la première édition, le compilateur s'étonnait qu'aucun rituel authentique n'ait été publié jusque là.

En 1871, "A. Lewis" a publié « The Perfect Ceremonies of Craft Masonry according to the most approved forms and taught in The Unions Emulation Lodge of improvment for M. M’s ». Ce rituel a connu un grand nombre d'éditions et a fait l'objet d'un important procès qui a atteint la Cour d'appel en 1935, la Cour décidant que « The Perfect Ceremonies » dans son édition de 1896 était une « nouvelle œuvre aux fins du droit d'auteur ». mais qu'aucun droit d'auteur n'avait été transmis à l'éditeur et qu'aucune autre édition entre 1896 et la date de l'action n'avait contenu de modifications suffisamment substantielles pour en faire une nouvelle œuvre aux fins du droit d'auteur.

Le rituel du « West End » a été publié pour la première fois vers 1882, mais représente une œuvre considérablement plus ancienne. Il semble qu'il ait vu le jour dans une ou plusieurs loges d’instruction de Londres.

Le mot « Oxford », qui est probablement devenu d'usage général dans la province d'Oxford vers 1870, est considéré comme plus exempt d'erreurs grammaticales que beaucoup d'autres. Il est associé au nom de RG Spiers, de la Loge Alfred, n° 340, Oxford, mais on ne pense pas qu'il représente le fonctionnement local de la province d'Oxford, mais plutôt qu'il reproduit la substance de l'ensemble des cérémonies de la Loge, etc. ., déjà mentionné.

Sur la base d’une révision relativement tardive, Logic représente une mise en place de type « ancien » modernisé, une interprétation nouvelle et différente étant donnée aux instructions et aux phrases qui ont fait l'objet de difficultés dans les rituels antérieurs.

Il existe de nombreux autres rituels imprimés, la plupart étant dérivés du working de Stability. Les cérémonies standard de la Stability Lodge ont été imprimées vers 1902.

Il existe aussi des manuscrits d'usages locaux, parfois de rédactions provinciales [au sens Grand Loge Provinciales] et autres qui conservent encore de nombreuses caractéristiques consacrées par le temps.

 

Traduction RKL PMRN 2023

Extrait du Guide et Compendium des francs-maçons de Bernard E. Jones, pub 1950, page 223