Rudyard Kipling
21 Novembre 2023

L’escalier tournant qui conduisait à la chambre du milieu du Temple

“The winding staircase which led to the middle chamber of the Temple”.

De nombreux auteurs, étudiant la structure du rituel Émulation, ont souligné, parfois avec insistance, la relative vacuité du deuxième grade (Fellow Craft) par rapport à la richesse des premiers et troisièmes grades [1].

La cause attribuée à cet état de fait est habituellement rattachée à la restructuration des rituels lors de l’apparition du grade de Maître dans les années 1720-1730. Cette réorganisation se fit au dépens du deuxième grade et une partie des éléments de l’ancien grade de Compagnon, qui était jusque-là l’ultime grade que le Maçon pouvait atteindre, furent déplacés vers le nouveau grade de Maître (p. ex. les cinq points de la fraternité) d’autres transférés vers le premier grade, bien que souvent la communication du deuxième grade se fit au décours immédiat de l’initiation, rendant difficile la distinction de ce qui appartenait, à l’origine, à l’un ou à l’autre de ces grades [2 ; p.231].

Paradoxalement, l’installation du Maître élu fut conservée au deuxième grade, ce qui est une singularité, et non des moindres, du rituel Émulation.

Cependant, une étude attentive de ce deuxième grade montre que sa relative brièveté n’est pas synonyme de vacuité et que de nombreux et importants éléments symboliques de notre cheminement maçonniques sont communiqués au cours de la délivrance de ce grade.

Il en va ainsi de la chambre du milieu du temple et de l’escalier tournant qui y conduit, objets de cette étude. 

1 - Historique.

Le passage d’une maçonnerie opérative à deux grades (Enter’d prentice and Fellow) à une maçonnerie en trois grades (E.Prentice, Fellow Craft  and Master) est un des chapitres les plus fournis de l’historiographie maçonnique [2 ; p.242]. Sans entrer dans le détail, ce passage se fit au tout début du XVIIIe siècle, autant que l’on puisse en juger, sinon avant.

Ainsi les « Constitutions » d’Anderson dans leur édition de 1723 mentionnent « Apprentices must be admitted Masters and Fellow Craft only here... (c’est à dire dans la Grande Loge de Londres et W.) ».

La première mention, connue, d’un grade de Maitre maçon dans une minute de Loge est celle de Swan and Rummer (le Cygne et le Gobelet) en avril 1727 à Londres [2 ; p. 243].

En ce qui nous concerne ici, rappelons que la toute première mention de l’escalier tournant et de la chambre du milieu se trouve dans la divulgation « Masonry dissected» de Samuel Prichard en 1730.

2 - Le temple du Roi Salomon dans la Bible.

« Quand le temple de Jérusalem fut achevé par le Roi Salomon… » (P.T. du deuxième grade).

Note de la Rudyard Kipling Lodge : par "P.T.", toujours lire "Tableau de Loge".

La chambre du milieu et l’escalier tournant y conduisant font partie des éléments architecturaux qui composaient le temple que le roi Salomon bâtit à Jérusalem sur le mont Moriah au Xe  siècle av. J.C. (II Sam. 24 ; I Chron. 21)

Il n’existe aucune trace archéologique de cette construction, (Ba’-yith ha-Mikdash : « Maison de sainteté ») dont les seules descriptions que nous possédions sont d’origine biblique.

L’interprétation de ces textes est parfois délicate, à cause de certains termes techniques qui sont difficiles à déchiffrer, car les copistes, qui ne les connaissaient plus, les ont déformés. En outre, les traductions de la Bible sont assez variables tant leur nombre  est important. [3 et 4]

Une remarque préliminaire s’impose : parmi les traducteurs de la Bible, certains estiment qu’il convient de privilégier la langue source. On cherche, alors, à traduire en restant le plus proche possible de la forme du texte original  hébreu. Les versions utilisant ces principes sont dites « à correspondance formelle» ou « littérales ».  D’autres préfèrent privilégier la langue cible. On cherche, alors, à traduire en rendant le mieux possible le sens du texte original. Pour cela, on cherche d’abord à transposer le sens. Les versions utilisant ces principes sont dites « à équivalence dynamique» ou « fonctionnelle ». On peut résumer cela sur le schéma suivant :

Il a donc été nécessaire, pour ce travail, d’effectuer un choix dans les références utilisées.

Nous utiliserons ici la bible d’André Chouraqui [5] (traduction littérale de l’hébreu, notée BC dans ce texte) et la Bible de Louis Segond [6] (Bible protestante notée BS). Nous n’avons pas retenu, nous verrons pourquoi, la Bible de Jérusalem, la TOB et la NTL qui semblent un peu trop marquées par des influences doctrinales.

Note de la Rudyard Kipling Lodge : Le choix du WBro Patrick BUFFE d'utiliser la Bible de Chouraqui est un choix qui lui appartient, toutefois n'oublions pas de rapporter tout ce qui touche au rituel anglais en général et à Emulation en particulier à la seule Bible autorisée et donc utilisée à l'époque de sa rédaction, celle du Roi Jacques, la King James. Nous invitons à lire l'article sur la pantoufle ou la conférence sur le pas à pas de la cérémonie d'initiation pour comprendre pourquoi.

Dans toutes les traductions on trouve la description du Temple de Jérusalem dans 1 Rois 6 :1-35 ; 2 Chroniques 3 : 1-14 et Ézéchiel  40-46. Le Temple proprement dit est décrit dans Rois et Chroniques, le texte d’Ézéchiel relatant, quant à lui, une vision du temple futur. Les seuls renseignements sûrs se trouvent dans 1 Rois, le livre des Chroniques n’apportant rien de plus. Le livre des Rois fut probablement rédigé sous le règne du roi Josias (fin du VIIe siècle avant J.C.). Sa rédaction est en tous cas antérieure à la destruction du temple par Nabuchodonosor II en 587 av. J.C.

L’étude attentive de ces documents bibliques montre que, de nos jours, les erreurs d’interprétation existent aussi et que les analyses qui suivent ici s’éloignent parfois de ce qui est, par erreur, communément admis ou cru.

3 -  La structure du Temple. [7]

« Le  porche était l’entrée du Saint des Saints.. » (P.T. du troisième grade).

Le Temple a été bâti entre 967 et 960 avant J.C. (sept ans) par des architectes phéniciens (Tyriens). Chaque maçon sait que le Temple du roi Salomon se composait de trois parties.

- Le vestibule ou Oulam (eilam chez Ézéchiel, « porche, antichambre ») vient de l’accadien ellamu (être devant).
- Le Saint ou Hekal, vient du sumérien egal « grande maison » au travers de l’accadien  ekallum.
- le Saint des saints, ou Debir de la racine hébreue dbr « être derrière ».

Il faut être attentif dans la lecture de la description du Temple. Lorsque la Bible mentionne « la maison » (Bah’-yith) c'est-à-dire le Temple, ceci désigne l’ensemble Debir+Hekal seulement. L’Oulam est toujours décrit à part dans Rois et Chroniques.

Avant de donner les mesures du temple, donnons quelques précisions liminaires :

- Les dimensions données dans la Bible sont les dimensions intérieures de l’édifice. Nous verrons comment Ézéchiel nous permet d’approcher les dimensions hors-tout de l’édifice.
- Les mesures employées sont les mesures bibliques dont la valeur approchée fait consensus parmi les historiens, ainsi : 

Unités Bibliques Données Archéologiques Equivalence dans la Bible Segond
Coudée (héb’ammah) 44,45 cm 50 cm
Coudée sacrée (Ezechiel) 51,85 cm 50 cm
Empan (héb. zèreth) 22,20 cm 25 cm

 

La coudée employée au temps d’Ézéchiel était plus courte que celle utilisée au temps de Moïse et de Salomon. Ézéchiel rétablit dans son livre, la longueur de l’ancienne coudée en ajoutant une palme aux six palmes de la coudée ordinaire de son temps, en créant, ainsi, une coudée « sacrée ». En même temps il obtient le nombre sacré sept comme celui de la division de sa coudée en sept palmes (Ezéchiel veut dire par là que le temple futur sera établi selon la mesure divine et non selon la mesure humaine).

La coudée ordinaire hébraïque était d’environ 44,45 centimètres, celle d’Ézéchiel est donc de 51,85centimètres.

La grande coudée égyptienne et la coudée babylonienne étaient d’environ 52 centimètres. La palme avait la largeur de quatre doigts, soit 7,4 centimètres.

Compte tenu de ces précisions, la maison elle-même avait, à l’intérieur, 60 coudées de longueur, 20 coudées de largeur, 30 coudées de hauteur, et elle était précédée d’un vestibule (portique) qui avait 20 coudées de largeur répondant à la largeur de la maison, et 10 coudées de profondeur (1 Rois 6 :3).

La hauteur du portique n’est pas indiquée, isolément dans le livre des Rois ; les Chroniques (2 Chroniques 3 :4) disent 120 coudées, chiffre admis par plusieurs interprètes, mais qui est plus probablement une faute de copiste.

La hauteur du portique devait, en fait, être à peu près la même que celle de la maison.

L’Oulam mesurait donc 20 coudées de large et 10 coudées de long (de profondeur), le Hekal 20 de large et 40 de long et le Debir 20x20 coudées ainsi que dit dans 1 Rois 6:2-3 : BS :

«  2 La maison que le roi Salomon bâtit à l'Éternel avait soixante coudées de longueur, vingt de largeur, et trente de hauteur. 3 Le portique devant le temple de la maison avait vingt coudées de largeur répondant à la largeur de la maison, et dix coudées de profondeur sur la face de la maison ».

Ainsi le Temple de Salomon (en hébreu :מקדש שלמה  mikdash Shlomo) proprement dit  (Hekal+Debir) mesure, à l’intérieur, 60 coudées de long.

Les dimensions indiquées étant les dimensions intérieures, il faut y ajouter l’épaisseur des murs de part et d’autre, puis les constructions adjacentes (chambres latérales, voir schémas plus loin) pour avoir tout l’area, c’est-à-dire l’espace occupé par le bâtiment dans son ensemble. Pour la hauteur il faut ajouter l’épaisseur du toit, probablement plat, qui était fait de poutres et de planches de cèdre (1 Rois 6:9). Si l’on compte que les murs de la maison décrits dans Ézéchiel, avaient 6 coudées d’épaisseur (3,11 m), les chambres latérale du bas 5 coudées de large, et le mur extérieur des chambres latérales 5 coudées d’épaisseur (2,6 m), la longueur totale de l’édifice ne dépassait pas 100 coudées : vestibule 10, mur oriental 6, Hekal 40, paroi séparant le Hekal et le Debir 1, Debir 20, mur occidental 6, chambres 5, leur mur extérieur évalué à 5, total : 93 coudées, auxquelles il faut ajouter quelques coudées pour le mur oriental du vestibule et la plate-forme portant les deux colonnes  Boaz et Jachin.

La largeur totale ne dépassait pas, elle, 60 coudées : mur extérieur des chambres au nord 5, chambres 5, mur nord de la maison 6, Hékal 20, mur sud de la maison 6, chambres 5, leur mur extérieur au sud 5, total : 52 coudées, auxquelles on peut ajouter quelques coudées pour une plate-forme sur les deux côtés, car l’emplacement du temple était plus élevé que le parvis environnant.

Enfin la hauteur, en comptant le toit de 5 coudées d’épaisseur était de 35 coudées.

Au total, vu de l’extérieur le Temple de Shlomo mesurait 100 coudées sur 60 (environ 45 m sur 30) pour 35 coudées (env. 16m) de haut, ce qui peut paraître fort modeste, mais ce qui est considérable pour l’époque.

On notera que le Temple de Jérusalem n’est pas, contrairement aux temples païens ou aux églises, un édifice destiné à recevoir un large public, mais un lieu fermé, fréquenté seulement par des prêtres et consacré aux cérémonies cachées du culte de YHWH.

4 - L’orientation du temple :

« Car nos temples sont orientés d’est en ouest comme le sont ou doivent l’être tous les édifices sacrés… ». (P.T. du premier grade).

Elle a fait l’objet de controverses, alimentées par l’obscurité des textes bibliques. L’accord des historiens et des traducteurs s’est fait, en fin de compte, sur un temple orienté d’est en ouest avec une porte d’entrée à l’orient. Cette opinion se fonde sur plusieurs éléments :

1) Tout d’abord la seule mention biblique exacte de l’orientation du temple se trouve dans la vision d’Ezéchiel 43 :1  et 47 : 1 

Dans la BC on lit, en effet :

« Il me fait retourner à l'ouverture de la maison. Et voici, des eaux sortent sous le palier de la maison vers le levant; oui, la porte de la maison est vers le levant. Les eaux descendent sous le côté droit de la maison, au Nèguèb de l'autel. »

Par « au Néguèb » il faut entendre vers le sud (le désert du Néguev est au sud de Jérusalem).

Notons, au passage, la mention d’une chute d’eau en face du côté droit de la maison (Voir le tableau de la P.T. du deuxième grade).

2) Ensuite une indication indirecte peut être tirée de l’orientation du tabernacle de Moïse indiquée dans Exode 26 : BS: «  Tu feras six planches pour le fond du tabernacle du côté de l’occident ». Dans les versets suivants on note la description des  planches des côtés nord et sud, mais rien sur le côté est, ce qui indique qu’il était ouvert. Flavius Josèphe, historien juif (fin du Ier siècle ap. J.C.), indique d’ailleurs, dans ses Antiquités  III, 6, 3 : «  Quant au tabernacle, Moïse le dressa au milieu en le tournant du côté de l'orient, afin que le soleil, aussitôt à son lever, lui envoyât ses rayons ».

Les lien entre le tabernacle de Moïse et le temple de Salomon mentionné dans nos rituels (troisième dernière et importante raison… planche tracée du premier grade) est parfaitement identifié dans le Livre de la Sagesse 9 : 8, BS «  …tu m’as ordonné de bâtir un temple sur ta montagne sainte, un autel dans la ville où tu demeures, imitation de la demeure sainte que tu fondas dès l’origine ».

A la lumière de ces indications bibliques et également par comparaison avec les vestiges archéologiques trouvés en Palestine et datant de l’époque biblique, les historiens s’accordent donc à donner, aujourd’hui, au temple de Salomon un axe est- ouest et une porte d’entrée à l’est.

Ceci apparaît donc comme l’inverse de l’orientation des églises chrétiennes ainsi que  celle de nos temples maçonniques.

De nombreux auteurs, dont Alex Horne [8] estiment que l’orientation des « temples et édifices consacrés à l’adoration divine.. » ouvrant à l’ouest, comme les églises, vient de l’influence exercée sur les maçons latins puis médiévaux par l’ouvrage de Vitruve De architectura (27 av. J.C.) . On y lit, en effet dans le livre 4 :V : « De l'orientation des temples : Les demeures sacrées des dieux immortels doivent être orientées de manière que... la statue du dieu qui aura été placée dans la cella, regarde l'occident, afin que ceux qui viennent... faire des sacrifices, aient en même temps le visage tourné vers l'orient et vers l'image qui est dans le temple ».

5 - Les chambres latérales.

« Le salaire des compagnons se payait en numéraire, et ils allaient le recevoir dans la chambre du milieu du Temple » ((P.T. du deuxième grade).

« 5  Il bâtit contre le mur de la maison des étages circulaires, qui entouraient les murs de la maison, le temple et le sanctuaire; et il fit des chambres latérales tout autour. 6L'étage inférieur était large de cinq coudées, celui du milieu de six coudées, et le troisième de sept coudées; car il ménagea des retraits à la maison tout autour en dehors, afin que la charpente n'entrât pas dans les murs de la maison. 8 L'entrée des chambres de l'étage inférieur était au côté droit de la maison; on montait à l'étage du milieu par un escalier tournant, et de l'étage du milieu au troisième. »

Tout semble dit, mais voyons ce que dit la traduction littérale de ces versets dans la Bible d’André Chouraqui :

5 Il bâtit contre le mur de la maison une galerie autour, et sur les murs de la maison, autour du Hekal et du Debir. Il fait des parois, autour 6 La galerie inférieure, cinq coudées de largeur ; la médiane, six coudées de largeur ; la troisième, sept coudées de largeur. Oui, il donne des retraits à la maison, autour, à l’extérieur, pour ne pas entamer les murs de la maison. 8 L’ouverture de la paroi médiane est sur l’aile droite de la maison. Des colimaçons montent sur la médiane, et de la médiane à la troisième. ».

On note donc, ici, que l’auteur précise bien que ces galeries n’entourent que le Debir et l’Hekal, mais non le vestibule (Oulam). Dans Rois et Chroniques ces chambres entourent donc les faces nord, ouest et sud du temple proprement dit (Hekal+Debir). Il n’en est pas de même pour Ezéchiel qui précise que, non seulement les chambres (galeries) entourent l’Oulam, mais qu’elles flanquent ainsi la façade orientale, entourant la porte du vestibule. Le nombre des chambres n’est pas donné dans Rois ni dans Chroniques, mais seulement dans Ézéchiel qui précise qu’il existe 33 chambres :

BC : Ézéchiel 41 :6  « Les loges, loge sur loge, trente-trois fois ».

BS : Ézéchiel 41 :6 : « Les chambres latérales étaient les unes à côté des autres, au nombre de trente trois et il y avait trois étages d'espace ». On doit ainsi comprendre, selon la traduction littérale, que la séquence « loge sur loge » se répète trente-trois fois. Il y a donc 99 chambres (100 moins un ?) en tout et non 33 seulement. 

LE TEMPLE SELON EZECHIEL 40-44


Comme dit dans Rois, le mur du temple présente des retraits d’une coudée à chaque étage pour servir d’appui aux poutres de séparation des chambres latérales et de leur toit (voir coupe des chambres latérales). La largeur de ces chambres croit donc  de bas en haut. On trouve dans Ézéchiel les mensurations complémentaires : épaisseur du mur extérieur 5 coudées, épaisseur des planchers 2 coudées, plafond 5 coudées. On voit ainsi se dessiner sur la coupe verticale du Temple (voir figure) les trois chambres  latérales (yā·ṣî·a / ‘יָצִ֙יעַ֙) : la chambre basse, la chambre du milieu et la chambre haute.

La chambre du milieu qui nous concerne, mesure donc 6 coudées de large, cinq coudées de haut et, valeur estimée par calcul (73 coudées, environ, divisées par 13) 5 à 6 coudées de long. Ces chambres servaient de lieu de stockage des objets liturgiques et sacrificiels, des offrandes et de vestiaire ainsi que de lieu de purification pour les servants du temple, bien que cela demeure du domaine des conjectures.

6 - L’escalier tournant :

« They got there by the porchway or entrance on the south side. After our ancient Brethren had entered the porch, they arrived at the foot of the winding staircase which led to the middle chamber” (P.T. du deuxième grade).

BS : 1Rois 6 : » 8 L'entrée des chambres de l'étage inférieur était au côté droit de la maison; on montait à l'étage du milieu par un escalier tournant, et de l'étage du milieu au troisième. »

BC : 8 « L’ouverture de la paroi médiane est sur l’aile droite de la maison. Des colimaçons montent sur la médiane, et de la médiane à la troisième. »

Certaines versions de la Bible donnent « trappes » au lieu « d’escalier tournant » et nous allons voir que ce choix n’est pas innocent.

Abordons donc le problème de la traduction du mot hébreu auquel on donne la signification d’escalier tournant.

Ce mot est LULLIM, pluriel de LUL (lamed, vav, lamed, לוּלִּ֗, prononcé « Loull »), qui signifie colimaçon, au sens de coquille. Voici la phrase de 1 Rois 6 translittérée : 

ū·bə·lūl·lîm                                  hay·mā·nît                hab·ba·yit                ke·tep̄
בְלוּלִּ֗יםi                                            הַיְמָנִ֑ית                      הַבַּ֖יִת                            כֶּ֥תֶף
Et par des escaliers                     le droit                     du temple                  côté
en forme de colimaçon


Tous les dictionnaires consultés, [9 et 10 p. ex.], donnent « escaliers tournants » comme signification  pour « lulim », et non « trappes »,  ainsi que l’on peut le voir ci-dessous :

Ce mot n’est jamais traduit par « trappes », sauf dans les versions de la Bible influencées par l’Église Catholique (voir les comparateurs bibliques [10 et 11]) que l’on peut soupçonner, finalement, d’avoir inventé cette histoire de « trappes », et il est permis de se demander pourquoi.


Dans les études maçonniques traitant du sujet, il vaudrait mieux éviter, désormais, de parler de « trappes » qui sont, peut-être, une forgerie doctrinale.

L’entrée de la chambre du bas se trouve sur le côté droit de la maison. Du côté sud, donc. Il n’est pas fait mention, ici, d’un « porche » dans la Bible, mais d’une simple entrée.

7 - La chambre et l’escalier tournant dans les tableaux de Loge du rituel Émulation.

7-1 Les représentations que donnent  les planches du deuxième grade ne concernent que l’entrée du côté sud, l’escalier tournant et la porte de la chambre du milieu auquel il conduit ; L’intérieur de la chambre du milieu n’est, le plus souvent, pas représentée. Certaines planches,  assez répandues, comme on peut le voir ci-dessous comportent quelques erreurs :     

 - L’entrée des chambres ne se situe pas dans le vestibule du temple (Oulam) mais sur le mur du côté sud du bâtiment. On ne devrait donc pas voir les colonnes J et B sur ce tableau.

- le pavé mosaïque n’existe pas dans l’entrée ou vestibule  (Oulam) du temple. Elément non  décrit dans la Bible, il est une création des ritualistes maçonniques.

Selon la P.T. du troisième grade : « Les ornements d’une loge de Maîtres maçons sont : le porche, la lucarne et le pavé mosaïque. Le porche qui était l’entrée du Saint des saints, la lucarne l’ouverture qui l’éclairait et le pavé mosaïque qui était destiné à être foulé par le grand-prêtre». Or, le grand prêtre (Cohen ha gadol), est le seul à pénétrer dans le Saint des saints (Debir). Les autres prêtres (Cohanim) n’ont pas le droit d’y entrer et doivent rester dans le Saint (Hekal). Le pavé mosaïque ne constitue ainsi, d’après le rituel, du moins, que le sol du Saint des saints et ne doit pas être représenté dans le vestibule.

- « Lorsque nos anciens frères  se trouvaient dans la chambre du milieu du temple, leur attention était particulièrement attirée sur certains caractères hébraïques, représentés ici par la lettre G… ».

Cette lettre ne doit pas être visible sur ce tableau car elle est à l’intérieur de la chambre du milieu et donc non visible de l’extérieur de celle-ci. On peut admettre, cependant, ici, une licence d’artiste. 

7-2 La planche tracée peinte par John Harris en 1820 et qui a été adoptée par l’Emulation lodge of improvement ne comporte pas, heureusement cette erreur sur l’entrée, bien que l’on puisse y voir le pavé mosaïque. Nobody is perfect !


John Harris 1820. Emulation lodge of improvement approved model

7-3 Un élément mérite d’être examiné, il s’agit du nombre de marches de l’escalier tournant.

Selon le rituel (P.T. du deuxième grade) «  …ils montaient l’escalier tournant qui comportait, trois, cinq, sept marches ou plus.. »

L’étude (fort complexe) de cette série croissante qui se retrouve dans d’autres passages du rituel  (Trois dirigent la Loge etc..) sort du cadre de notre étude. Cependant il est heureux qu’elle se termine par « sept et plus... », car le tableau de Harris comporte plus de vingt marches.

Qu’en était-il dans la réalité ? La hauteur de la chambre basse est, on le sait, de cinq coudées environ (222,2 m) et sa dimension au sol de 6 coudées au maximum (2,60 m qui sont le reculement). La hauteur que doit avoir une marche d’escalier est donnée par la formule de Blondel. L’architecte François Blondel (1618-1686) est l’auteur d’une relation entre le giron (g) et la hauteur (h) d’une marche d’un escalier. [12] 

Il faudrait, selon cette formule, 13 marches d'une hauteur de 17,09 cm chacune pour accéder du niveau du sol de la chambre base au plancher de la chambre du milieu. Le giron est égal à 20 cm. La longueur totale horizontale (reculement) de l'escalier est égale à 260 cm. On aurait donc, ici du moins, pour concorder avec trois, cinq, sept et plus.., une série arithmétique croissante de raison 2 : (3+2=5 ; 5+2=7 ; 7+2=9 ; 9+2=11 ; 11+2=13 etc..)

Il faut noter que la formule de Blondel reste valable pour un escalier à quart tournant, de sens antihoraire comme c’est le cas ici. Rappelons que cet escalier part de la chambre du bas pour monter à la chambre du milieu.

On peut donc tenter une reconstitution ainsi :

Bien évidemment cette restitution est une interprétation et ne doit pas être considérée comme reflétant une quelconque vérité.

8 - Approche symbolique.

8-1 La chambre du milieu du Temple.

Comme nous l’avons signalé, la description de l’organisation intérieure des chambres latérales du Temple reste absolument inconnue à ce jour, faute de mention biblique.

D’aucuns ont supposé que certaines de ces chambres étaient utilisées par les prêtres (Cohens) et/ou par leurs assistants (Lévites) pour effectuer les préparatifs de certaines cérémonies. Cela est possible, mais dans ce cas on ne voit pas pourquoi, et cela a déjà été souligné, le nom ineffable serait représenté sur le mur d’une de ces chambres, puisque ce nom n’était connu que du seul grand prêtre (Cohen ha gadol) et transmis à son seul successeur.

Le rituel dit «..leur attention était attirée, d’une façon particulière, vers certain caractères hébraïques symbolisés ici par la lettre G, signifiant : Dieu».

Ici encore la traduction française est fautive. « ..denoting God.. » en anglais veut dire clairement : « signifiant Dieu » et  non pas « se référant à Dieu ». Cela nous épargnera donc une interminable digression sur la signification de cette lettre qui a fait couler autant d’encre que d’élucubrations.

On notera, cependant, une allusion incidente à  la lettre G dans un sens différent, puisque le GADLU est appelé, dans le  deuxième grade : Le Grand Géomètre de l’univers.

Les caractères hébraïques en question représentent, bien sûr le tétragramme sacré qui est le hiéronyme du Dieu d’Israël.

Notons au passage que le nom sacré iod, hé, vav, hé ( lu de droite à gauche, comme ci-dessus) doit se translittérer YHVH et non YAHVÉ.

Saisissons l’occasion pour écarter absolument, ici du moins, JEHOVAH qui est une création médiévale artificielle et signaler que la prononciation, supposée correcte, du tétragramme est quelque chose qui se rapproche de « YAHOUÉ » !

Enfin, une notion très importante mérite d’être soulignée.

Au rituel Emulation, la chambre du milieu, contrairement à d’autres Rites, n’est pas le lieu de rassemblement des Maîtres maçons, mais celui des Compagnons. Une réunion réservée aux Maîtres, le cas échéant, ne porte aucun nom particulier (p.ex. à l’ELOI). La cérémonie secrète d’installation du Maître élu se déroule, quant à elle, en « chambre des Maîtres installés »

8-2 L’escalier tournant.

L’escalier tournant a inspiré nombre de travaux symboliques, certains fort élaborés. On consultera donc, avec profit les bons auteurs.[14]

On oppose, assez classiquement la marche de l’apprenti qui est rectiligne et celle du compagnon, curviligne. Cette opposition se retrouve dans celle de la rectitude de l’échelle de Jacob, dont les échelons représentent les vertus et de la circularité de celle du Compagnon, dont les marches constituent un inconnu. (sauf à leur affecter des désignations arbitraires).

Comme exemple de ces interprétations, donnons-en, ci-dessous, un bel exemple [15] :

« Il faut davantage de courage pour affronter l’inconnu que le connu. Un escalier droit, une échelle, ne cachent point de secret à leur sommet qui est visible. Mais l’escalier tournant cache la marche suivante au grimpeur. Ce qui est juste après est inconnu. L’escalier tournant de la vie nous conduit à on ne sait quoi, fortune ou détresse. L’ange de la mort peut se tenir avec un glaive nu sur la marche suivante pour n’importe lequel d’entre nous. Et pourtant, nous montons… ».

Dans l’exposé qui suit nous resterons plus terre-à terre, si l’on peut dire. Rappelons tout d’abord comment la marche du compagnon doit, correctement, s’effectuer :

Marche du deuxième grade

Comme on peut le voir, à chaque pas, le pied tourne de 45 degrés. Cette marche ne doit pas commencer trop loin de la chaire, 1,5 m. au maximum  (le rituel ELOI dit 3 pas) afin de se trouver au pied de l’autel au dernier pas  et commencer et finir sur la ligne médiane de la loge et non  sur son côté sud, ainsi :

La marche du deuxième grade, aller et retour

Comme on peut le voir sur le schéma ci-dessus le premier Diacre, après avoir effectué la marche en cinq pas, d’ouest en est, doit revenir à son point de départ en effectuant une marche demi-circulaire, en sens inverse de la précédente.

Ceci est souvent oublié et pourtant fondamental, comme nous le verrons et d’ailleurs explicitement dit dans l’ « Emulation ritual » :

Ce fait n’est pas le fruit du hasard mais cela  montre que le, ou les, rédacteurs du rituel ont voulu indiquer, précisément, que le Diacre dessine deux demi-cercles sur le sol de la loge.

Ainsi, le quatrain de la Bauhütte:

«  Un point dans le cercle,
Et qui se place dans le carré et le triangle.
Connais-tu le point ? Tout est bien,
Ne le connais-tu pas ? Tout est vain. »

Il faut ainsi en venir à la géométrie sacrée et à l’art du trait des bâtisseurs : Probablement basé sur des constatations empiriques, le principe semble admis au Moyen Âge : pour rester stable, il faut être carré. 

L'implantation au sol des édifices suit cette logique depuis l'Antiquité. On parle de construction ad quadratum, d'après le carré (ou le rectangle). Par ailleurs, l'autre forme géométrique fondamentale en architecture est le triangle. Il est mécaniquement indéformable. C'est pourquoi, aujourd'hui encore, on triangule les structures verticales, comme les charpentes ou les échafaudages. C'est la construction ad trigonum, d'après le triangle.

Le cercle intervient quant à lui dans le tracé des élévations des arcs et des voûtes ainsi que dans le plan des tours. 

C’est là que l’on veut en venir : La marche de l’Apprenti se fait à plat, sur le plancher de la loge, celle du Compagnon s’élève au dessus de ce plancher en une marche ascendante.

On passe ainsi du plan à l’élévation. Ce passage du plan à l’élévation est un des grands arcanes de l’art du trait.

Donnons-en un exemple :

On trouve dans les carnets de Villard de Honnecourt, le schéma  suivant :

« Par chu fait on trois manires d’ars a compas ovrir une fois »
« Par ce moyen fait-on trois manières d’arc à compas ouvert une fois »


Ce dessin, en apparence énigmatique, représente, en fait, ceci :


De quoi s’agit-il. ?

En réalité, c’est le moyen de dessiner en plan et en élévation les arcs constitutifs d’une voute barlongue sur plan de base quadrangulaire.
La voute barlongue (plan rectangulaire) est une grande amélioration de la voute sexpartite qui l’a précédée

La voute barlongue, réduit le nombre des piliers, des voutains (le remplissage entre les arcs) centraux de six à quatre et allège la masse des arcs.

Une voute barlongue est constituée par trois types d’arcs :

- L’arc doubleau, c’est celui qui est dans l’axe de la nef.
- l’arc diagonal, c’est celui qui se croise au centre.
- l’arc formeret ou arc  en tiers-point, c’est celui qui joint les deux piliers latéraux, parallèlement à l’axe de la nef, comme suit :

Commençons le dessin de la construction par le plan de base de la travée rectangulaire, dont on trace la diagonale :

Traçons le schéma de Villard de Honnecourt sur cette base :

On remarque sur ce dessin qu’il existe trois centres différents pour le tracé des arcs, mais que l’ouverture du compas reste constante pour les trois tracés et égale à deux unités (moitié de la diagonale de la travée).

Et toujours O, le grand centre…

Voici donc comment à l’aide du cercle et du centre on passe du plan d’une travée à son élévation, comme par une marche ascendante. On trouve, dans les rituels des trois grades, de multiples allusions au centre et au cercle ; Ainsi :

- Au premier grade :

«.il est un point à l’intérieur d’un cercle, autour duquel aucun Frère ne peut s’égarer ».

- Au deuxième grade : 

Q- : « Qu’est-ce qu’une équerre ?

R- : « Un angle de 90° ou le quart d’un cercle ».

- Au troisième grade : 

Q- : « Comment espérez- vous les retrouver ? »

R- : « Avec le centre ». (Notons que le rituel dit bien « with the center », avec le centre et non « at the center », au centre).

Q- : « Pourquoi avec le centre ? »

R- : « Parce que c’est le point à partir duquel un Maître Maçon ne peut s’égarer ».

Cette démonstration a pu paraître longue, elle n’était destinée qu’à montrer les racines opératives de notre rituel, racines particulièrement marquées au grade de Compagnon (Fellow craft).

Elle a permis, également de montrer que, loin d’être un grade accessoire, destiné à être rapidement franchi, le deuxième grade comporte une importante et féconde charge symbolique qui trouve sa source dans les lointaines mais robustes racines médiévales du rituel Émulation.

La description de l’escalier tournant et de la marche qui le parcourt, n’est pas un choix arbitraire des rédacteurs successifs de notre rituel, mais, il faut bien s’en rendre compte, la restitution d’un procédé de l’art du trait. Mais lequel ?

L’on trouvera un commencement de réponse dans le rituel de clôture de la Loge au deuxième grade :

- Q : Dans cette position, qu’avez-vous découvert ? 

- R : Un symbole sacré.

- Q : Où est-il placé ?

- R : Au centre de l’édifice.

- Q : A quoi fait-il allusion ?

- R : Au Grand Géomètre de l’univers.

En conclusion : « Les outils du Maître Maçon sont : le cordeau, le compas et le crayon ».

Avec l'aimable autorisation du W.B. Patrick C. BUFFE, Meridian 4106-UGLE, London, UK.

Bibliographie :

1 - Roger Dachez : Le grand vide du deuxième grade
2 - Bernard E. Jones :  Freemason’s guide and compendium Cumberland house publishing 2006
3 - Quelle Bible choisir ?
4 - Liste des traductions  de la Bible en Français
5 - André Chouraqui : La Bible. Éditeur : Desclee de Brouwer (1989)
6 - Louis Segond : La Sainte Bible - 1910.  Éditeur : Société biblique française (2015)
7 -  Marcel Dieulafoy: Le rythme modulaire du temple de Salomon. Comptes rendus des séances de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres ; Année 1913/ 57-5/ p. 332-347
8 - Alex Horne : Le temple de Salomon dans la tradition maçonnique.  Éditions  du Rocher 1972
9 - LUL en hébreu, Dictionnaire Strong :  לוּל (luwl) - 03883
10 - LUL, dictionnaire hébreu-français
11 - Comparateur biblique en  français de 1 Rois 6 : 8  
12 - Comparateur biblique en anglais de 1 Rois 6 :8
13 - Formule de Blondel
14 - Albert G. Mackey : encyclopedia of freemasonry and its kindred sciences.(article “winding staircase”)
15- Carl H. Claudy :  Introduction to freemasonry .  Éditeur : Macoy ; New York .1930