Rudyard Kipling
13 Novembre 2023

Quelques mots de vocabulaire maçonnique anglais

Un article proposé par le frère Patrick Buffe de Meridian 4106, Londres.

A propos de quelques mots du vocabulaire Maçonnique anglais et de leur traduction en français

 

Il existe, dans le rituel Emulation en anglais, un certain nombre de mots énigmatiques, appartenant exclusivement au vocabulaire maçonnique, qui sont sortis depuis longtemps du vocabulaire courant et actuellement incompris par la majorité des locuteurs anglophones. Certains de ces mots, comme Tyler, sont compris de tous les Frères, d’autres ne sont compris que par les maçons qui ont travaillé leurs rituels, comme, par exemple, cable-tow, enfin certains demeurent de sens indécis, voire de prononciation peu assurée.

Parmi cette dernière catégorie, on étudiera aujourd’hui, Hele, Cowan et Mysteries.

HELE:

Dans le rituel Emulation en anglais ce mot possède plusieurs occurrences dont les plus remarquables sont l’ « obligation solennelle » de l’Apprenti et la première section de la première lecture de ce grade. Ainsi, le texte original dit :

 - Solemn obligation :
  “….sincerely and solemnly promise and swear, that I will always hele (pronouced hail), conceal, and never reveal any part or parts, point or points of the secrets or mysteries of or belonging to Free and Accepted Masons in Masonry…”
« ..sincèrement et solennellement, je promets et je jure, que toujours je Hele, cacherai et jamais ne révèlerai aucune partie ou parcelle.. ».

- Lecture :
Q- Will you give me the perfects points of your entrance?
A-Give me the first, I will give you the second.
Q-I hele
A-I conceal
Q-What do you wish to conceal
A-All secrets and mysteries of or belonging to Free and Accepted Masons in Masonry.
Q-Voulez-vous me donner les points parfaits de votre admission ?
R-“Donnez moi le premier, je vous donnerai le second.
Q Je Hele
R- Je cache ».

En exergue à cette étude, soulignons deux faits importants qui la motivent :

-1) Nos frères anglophones n’ont aucune certitude quant à l’origine, la signification réelle et même la prononciation exacte de ce mot. Nous verrons pourquoi. Aussi, cela donne lieu à une abondante littérature, études et discussions, en particulier sur l’assonance « Hele, conceal and never reveal » laissant toute liberté aux loges de faire un choix parmi les hypothèses retenues.

-2) La perplexité de nos frères anglais a eu comme résultat des traductions en français un peu hasardeuses, au moins dans celles que j’ai consultées,  « je tais » étant inexacte et « je vous salue » erronée.

La première mention du mot, "hele" se trouve dans le Cooke MS. (c. 1400-1410)  : “he can hele the councelle [=counsel] of his felows in logge [=lodge] and in chambere [=chamber]”, la combination des mots  "hele," "conceal" et "reveal," apparait pour la première fois dans Samuel Prichard  Masonry Dissected (1730): "I will Hail and Conceal, and never Reveal....".  Des variations sont trouvées, ensuite, dans les anciens manuscrits : « to heill and conceall ..." (The Edinburgh Register House MS., 1696); "... Hear & Conceal ..." (The Chetwode Crawley MS., c. 1700); "... Heal and Conceal or Conceal and keep secrett ..." (The Sloane MS., c. 1700); "... to hear & Conseal ..." (The Kevan MS., c.1714-1720); "... Hear and Conceal..." (The Grand Mystery of Free-Masons Discover'd, 1724); "... Hide & conceal ..." (Institution of Free Masons, c. 1725); "... heal & conceal..." (The Wilkinson MS., 1727);  "... always hail, conceal, and never will reveal ..." (Three Distinct Knocks, 1760);  et enfin "... always hale, conceal, and never reveal ..." (Jachin and Boaz, 1762). Comme on peut le voir, l’orthographe de ce mot est assez variable, mais il est souvent accolé avec “conceal” et reveal” formant une assonance rendue en français, le plus souvent par : “Je tairai, cacherai et jamais ne révèlerai” ce qui n’est pas tout à fait exact, comme nous allons le voir.

En fait, mis à part l’évidente erreur de transcription que constitue «Hear  » (entendre), deux orthographes sont proposées. « Hele » qui en bonne logique devrait se prononcer comme « Meal » et « Hail » qui devrait, lui, se prononcer comme « Mail ».


Il s’agit, en fait, de deux mots voisins, mais de sens différent. 

- « Hele » vient d’une racine du Old English. "helan". Le Saxon-Latin-English Dictionary de Somner (1659) donne:  "helan=celare, tegere-to hide, to cover (cacher, couvrir!); Le Saxon Dictionary De Lye (1772) definit "helan" comme "to hide=celare”. The Oxford English Dictionary, définit, lui, "hele" comme "to hide, conceal; to keep secret.". Le dictionnaire Collins, enfin, donne de même : «  hele, verb,  a dialect variant of heel in ; Word origin Old English helan: hide » On voit ici que la signification la plus courante est celle de cacher, voire de couvrir, ce qui va très bien au vocabulaire maçonnique.

- « Hail »  vient, lui, du du mot saxon “Huel”, mot du vocabulaire maritime qui signifie salutation, appel, et qui a donné en français héler. Lorsque que, dans les vieux manuscrits la question posée est : "Whence do you hail?"  « D’où nous hélez-vous ? »c’est, en fait, "Of what Lodge are you a member?" «  De quelle loge êtes-vous membre ?».

L’anglais moderne a conservé ce sens dans « hail a taxi », héler un taxi. On consultera avec profit : https://freemasonry.bcy.ca/texts/hele.html

pour approfondir la question, qui ne semble nullement résolue dans le monde maçonnique anglo-saxon.

L’assonance « Hele, conceal, and never reaveal » semble indiquer la prononciation correcte : prononcer comme « meal». Cependant, si l’orthographe utilisée dans le rituel ELOI est bien « Hele », le choix qu’a fait le comité de l’ELOI, avec prudence, entretient savamment la confusion : « The original meaning, spelling and pronunciationof the word used here is uncertain. What the Emulation committee believe to be the original pronunciation is indicated”. Plus loin on lit : “pronounced Hail” c’est à dire comme “mail”, bien qu’écrit « Hele ». La discussion n’est pas près de s’éteindre à ce sujet.

Un mot enfin sur l’assonance. Le rituel émulation est, on l’a dit, souvent assez redondant et présente de curieuses répétitions et tautologies. S’étonner de ce fait, c’est oublier qu’a l’époque de l’établissement des anciens manuscrits, l’anglais courant faisait coexister des mots d’origine saxonne avec des mots d’origine franco-normande, de façon que le texte soit bien compris de tous. Ainsi s’expliquent les répétitions fréquentes : « Heal, conceal »( du vieux français conceler, lui-même du Latin concēlāre, de com- (intensif) + cēlāre=cacher), « Own  free will and accord », « Charter or warrant » etc..

 Comment traduire cela en français. Sûrement pas « je vous salue », « Je tais » est mieux, voisin du vrai sens, mais pas assez, je crois. On propose : « Je couvrirai, cacherai et jamais ne révèlerai.. » qui est une traduction littérale.

COWAN :

WM to JW: the situation of the Tyler?
JW: Outside the door of the Lodge.
WM: His duty?
JW: Being armed with a drawn sword to keep off all intruders and cowans to Masonry and to see that the Candidates are properly prepared.

Ceci est rendu, habituellement, en français par « Armé d’un glaive nu, écarter tous les intrus et profanes.. ». Si intrus ne pose pas de problème, le mot profane, s’il est convenable, ne cerne pas bien la signification exacte de « Cowan ».

 Alors qu'est-ce qu'un Cowan? Ce mot, assez obscur, est d’origine écossaise et de sens incertain. En Écosse, en 1598, le premier des Statuts de Schaw a interdit aux Maîtres et Compagnons du métier (voir mysteries) d'employer ou de travailler avec des « cowans », ou alors d'être passible d'une amende substantielle. Un cowan serait donc le terme écossais pour désigner un maçon qui n'avait pas été admis en tant que compagnon, ayant passé son temps comme apprenti, sans succès final. En Écosse, à cette époque  de la paléo-maçonnerie, ce serait quelqu'un  qui ne possèderait pas le « mot de  maçon ».
 Jamieson, dans son  Scottish Dictionary [1], donne les significations suivantes au mot “cowan” : 

-Terme de mépris ; appliqué à quelqu’un qui effectue un travail de maçon, mais qui n’a pas été convenablement formé.

-Aussi utilisé pour un constructeur en pierres sèches (sans mortier).

Bien sûr, un cowan serait un intrus, mais il a été vraisemblablement jugé nécessaire de préciser que des précautions particulières étaient indispensables contre quelqu'un qui connaissait les techniques du métier, et serait donc en mesure de se faire passer pour un compagnon maçon, sauf qu’il n’avait pas le  « mot de maçon ». On trouve ainsi dans A glossary of the craft and Holy Royal Arch de A.C.F. Jackson [2], Past-master d’ Ars Quatuor Coronati, la définition suivante :

Cowan, apparaît dans les statuts Schaw, 1598. La première apparition dans un rituel anglais est dans la divulgation Masonry dissected comme cowan ou intrus. La première mention régulière ( ?) est dans les constitutions d’Anderson en 1738. Selon le Dictionnaire du vieil anglais l’étymologie est inconnue, mais discutée largement dans FGC 421 et sq. C’est certainement un mot Ecossais, signifiant peut-être un constructeur de murs en pierres sèches ou un maçon non qualifié. Voir aussi HC 86-88.
NB : MD=Masonry dissected ; OED= Old English Dictionnary; FGC Free-mason guide and compendium, Knoop et Jones; HC= Harry Carr The free-mason at work.

On a ici un maçon non qualifié, possiblement un maçon de pierres sèches, ou alors un apprenti qui n’a pas réussi son apprentissage et qui n’a pas été jugé digne d’être reçu compagnon.

Bref, quoi qu’il en soit « a cowan » n’est pas un profane au sens de personne totalement étrangère au métier, mais un maçon qui, d’une manière ou d’une autre n’a pas les qualités requises pour être » Fellow of the craft », compagnon du métier.
Traduire donc « Cowan » par : « Maçon non qualifié ».

On notera, pour conclure, qu’un Cowan est, le plus souvent, un « Apprenti non entré » par opposition à « l’Apprenti entré » (Enter’d App »rentice) qui, lui, a été reçu en franc-maçonnerie.


MYSTERIES : 

Ce mot se retrouve à deux reprises dans le rituel :

1) Présentation du candidat :
JW: Whom have you there?
JD: Mr. ..., a poor Candidate in a state of darkness who has been well and worthily recommended, regularly proposed and approved in open Lodge, and now comes, of his own free will and accord, properly prepared, humbly soliciting to be admitted to the mysteries and privileges of Freemasonry.
“solicitant, humblement d’être admis aux "mysteries" et privilèges de la F.M.”

2) Obligation solennelle :
“…sincerely and solemnly promise and swear, that I will always hele (pronouced hail), conceal, and never reveal any part or parts, point or points of the secrets or mysteries of or belonging to Free and Accepted Masons in Masonry”.
“..et jamais ne révèlerai aucune partie ou parcelle des secrets ou  "mysteries" touchant ou appurtenant à la F.M.”

Dans ces deux cas, “mysteries” est traduit par : mystères. Cela paraît évident, mais cela est faux.

En effet, une fois de plus, le texte anglais utilise un mot qui possède plusieurs sens, dont celui de mystère. Il a paru évident de traduire « mysteries » en français par mystère, sans chercher à voir plus loin, tant il est séduisant de penser que la F.M. possède des éléments mystérieux. Il a par ailleurs, été constaté combien l’explication qui va suivre a pu soulever autant d’incrédulité que de refus de la part de ceux à qui j’ai soumis ce travail, tant est féroce l’attachement au rituel imprimé (qui dit forcément la vérité) et le refus du changement, même fondé sur l’étude et la réflexion.

Commençons par lire ce qu’en dit A.C.F. Jackson (op. cit.), auteur qui fait autorité :

Mystery : la signification dépend des sources de ce mot. Le Grec misterion ( fermer les yeux ou les lèvres c'est-à-dire préserver un secret) devint misterium en latin et au travers du vieux français mystere ( actuellement mystère) a donné misterie en middle-english et le moderne  mysterie pour quelque chose  d’inconnu ou d’inexpliqué. Le vieux français metier et l’anglo-saxon mister, misterie (tous deux signifiant métier) devint en middle-english mysterie ou misterie. La confusion entre les deux dérivations a produit la phrase maçonnique « secrets ou mystères » qui est une inutile répétition sauf si « mysteries » est accepté dans sa signification archaïque de «  métier ou compétence ».

Ce texte cerne parfaitement la cause de la confusion dans les traductions françaises. Mystère au sens de chose inconnue ou inexpliquée vient du grec misterion qui a donné en latin misterium puis est passé au travers du vieux français vers le middle english misterie et enfin au moderne mysterie.

L’autre sens de mysterie en anglais dérive du latin ministerium (un ministère) qui, contracté, a donné misterium, donnant en vieux francais mestier, et du terme anglo-saxon mister et désigne un métier, une compétence ou encore une association de travailleurs (on retrouve métier de même sens en français).

Voyons ce qu’en dit le Oxford english dictionnary :


Ou encore le dictionnaire Collins :

Mystery: Archaic.
1.  a trade, occupation, or craft
2. a guild of craftsmen
Word origin : from Medieval Latin mistērium, from Latin ministerium= occupation.
A craft, art or trade; specifically a guild of craftsmen. 

L’examen de ces réferences conforte l’analyse de Jackson.

Comme le souligne ACF Jackson, l’expression “secrets et mystères” est redondante. Il faut lire ici : « secrets et métiers »..

Il a été souvent objecté que le mot « mystère » fait allusion aux mystères médiévaux.

P. Noel, historien reconnu de la FM, note, en effet [3]: «  Les antécédents du drame Hiramique doivent être cherchés dans les Mystery plays, ces scénettes d’inspiration biblique jouées au moyen-âge dans les églises d’abord, sur les parvis ensuite. On en a gardé plusieurs qui étaient joués à York, Wakefield, Norwich ou Londres. Réservées aux grands moments de l’année liturgique, ces représentations étaient souvent confiées aux corps de métier, guildes ou corporations, qui les finançaient et en assuraient la réalisation.  De là vient leur nom mystery ou mystère, du latin misterium (signifiant occupation) ou ministerium (métier ou craft en anglais)… Dans la plupart des « mystères », il y avait une relation entre le métier et le thème choisi, notamment pour les métiers « de l’eau » ou de la charpente, régulièrement associés au déluge ou à la construction de l’arche de Noé. On retrouve un lien du même genre entre l’adoration des mages et les guildes d’orfèvres.  Malgré toutes les recherches, aucune relation n’a pu être établie entre le métier de la pierre et le thème de la construction du temple de Salomon ». Ainsi, même allusif à ces « mystères », le mot » mysterie »  évoque toujours le métier et non les choses mystérieuses.

Pour conclure : comme le souligne A.C.F. Jackson, l’expression “secrets et mystères” est redondante. Il faut lire ici : « secrets et métiers » ou mieux :« secrets et savoirs » des F.M., au sens de savoir-faire (tours de main).


avec l'aimable autorisation du W.B. Patrick C. BUFFE, Meridian 4106-UGLE, London, UK. 2020.

 

[1] http://www.scotsdictionary.com/
[2]  Glossary of the Craft & Holy Arch Rituals of Freemasonry. 
A C F Jackson
Edited  par Ian Allen Publishing (2008) 
ISBN 10 : 0853183066 ISBN 13 : 9780853183068 
[3] https://www.hiram.be/reflexions-anodines-sur-le-grade-de-maitre-macon/