Rudyard Kipling
02 Novembre 2023

So Mote It Be et Ainsi soit-il ?

Un article proposé par le frère Patrick Buffe de Meridian 4106, Londres.

 

Les prières, que ce soit au cours de la tenue ou lors des grâces récitées aux agapes, se terminent rituellement par « Ainsi-soit-il ».

Certaines loges préfèrent utiliser le terme hébreu « Amen ».

Il en va de même dans les loges de la GLUA qui pratiquent le rituel Émulation dans sa langue d’origine, c’est à dire l’anglais. Cependant, si nos Frères anglais utilisent souvent l'expression «so mote it be », la plupart d’entre eux ont depuis longtemps cessé de se demander ce qu’elle signifie en fait, car cette expression est totalement inconnue en dehors de la Maçonnerie et incompréhensible pour un profane.

Est-ce une autre façon de dire Amen et, sinon, quelle est la différence ?

Lewis Carroll dans « Through the looking glass » (De l’autre côté du miroir) Humpty Dumpty dit d’un ton méprisant :

 «Quand j'utilise un mot, cela signifie juste ce que je veux dire - ni plus ni moins ».

Cela pourrait s’appliquer au mot « mote » dans l’expression « so mote it be ».

« Mote » en anglais contemporain signifie une poussière (en particulier lors ce qu’elle est reçue dans l’œil), et, pour les médiévistes savants seulement, désigne une sonnerie particulière de cor de chasse ou de clairon militaire, ou encore la « motte » sur laquelle est érigée un château féodal.

L’étude attentive de l’anglais médiéval montre que ce mot (mote) a été utilisé comme une alternative utile aux mots could, would et surtout may ou must, c’est à dire respectivement : pourrait, voudrait, peut ou doit.

Ces deux dernières significations pourraient enfin nous indiquer la bonne direction.

Ainsi cette expression signifie « ainsi doit-il être » ou « ainsi puisse-t-il être » ou enfin « ceci est nécessaire ». La traduction actuelle : « ainsi soit-il » est donc tout à fait convenable. Il existe de bonnes preuves historiques que « Amen » et «so mote be» étaient utilisés par la Guilde des Compagnons Maçons dès le XIVe siècle, et que la pratique médiévale souvent combinait les deux. Le manuscrit Regius, peut-être notre premier document maçonnique, cite par exemple :

Amen, amen, so mot hyt be
Say we so  alle for charyte

Amen, amen, qu'il en soit ainsi,
Ainsi disons nous tous pour la charité.

L’expression «so mote it be», que l’on peut voir à l’avant dernière ligne du fac-simile ci-dessus, pourrait signifier simplement «il doit en être ainsi» ou «qu'il en soit ainsi» mais, de manière déconcertante, c'est aussi le sens d'Amen.

Cependant, le mot Amen a une signification profondément religieuse. Il est d'origine hébraïque et est utilisé pieusement pour confirmer les déclarations précédentes dans la liturgie chrétienne, dans la prière, dans les bénédictions, les psaumes, etc. Dans la pratique chrétienne, son utilisation est encore considérable. Il affirme la vérité spirituelle de tout ce qui l'a précédé.

Les Moderns et les Antients se sont réunis pour former l’United Grand Lodge of England en 1813 et pour convenir d'un rituel commun. Sous l’influence du Duc de Sussex, Grand Maître de la nouvelle Grande Loge, la décision a été prise de rendre ce rituel universel. Cela a nécessité la suppression de toutes les références explicites à des religions spécifiques, y compris bien sûr tous les symboles, prières et phrases. Cela dit, les Francs-maçons qui sont également membres de la Holy Royal Arch ou du Mark Degree reconnaissent cependant que des allusions chrétiennes importantes subsistent dans les deux. En raison de la connexion étroite entre Amen et la liturgie chrétienne, il a pu sembler ainsi approprié, en 1813, de supprimer ce premier mot Amen (chrétien) de la phrase du Regius, reprise dans les anciens manuscrits (old charges), ne laissant subsister que la deuxième partie (profane) de la phrase « so mote it be ».

Le grand historien maçonnique Harry Carr a prôné l’utilisation d’«ainsi soit-il» dans le Temple et d’Amen après les grâces aux agapes (festive board). Après avoir réfléchi à ce qui précède, vous pourriez bien être d'accord. C’est la coutume de nombreux Loges d’utiliser « ainsi soit-il» pendant les agapes mais, comme la réponse aux grâces est un choix personnel et non une obligation du rituel, Amen serait une alternative tout aussi agréable pour quiconque choisirait de l'utiliser.

avec l'aimable autorisation du W.B. Patrick C. BUFFE, Meridian 4106-UGLE, London, UK. 2020.