Rudyard Kipling
20 Décembre 2023

Partie 1 : The mosaïc pavement, ou le pavement en mosaïque

Un article en deux parties, la suite ici.

A n’en pas douter, le « pavé mosaïque » constitue avec l’équerre et le compas un des symboles maçonniques les plus connus du grand public. Peut-être sa grande taille et son omniprésence dans la représentation de l’intérieur de toutes les loges offerte aux yeux des profanes, expliquent cette fortune. Au propre, comme au figuré, ce pavement est au centre de tous les rituels, malgré un symbolisme assez univoque centré sur la dualité qui l’apparente davantage à une allégorie plutôt qu’à un vrai symbole.

La présente étude, qui se base sur l’étude biblique et sur les sources historiques vérifiables de la Maçonnerie anglo-saxonne, sera, comme souvent, l’occasion de réviser certaines notions tenues pour connues et de préciser quelques points qui peuvent paraître obscurs à certains.

1 - Historique

La mention du « pavé mosaïque » apparaît pour la première fois dans le manuscrit Wilkinson de 1727, comme étant un « immoveable jewel » de la loge.

M.S. Wilkinson (souligné) et Masonry dissected

On lit, ici, « The Mosaick Pavement, the dented Asler § the broach Urnell ».

Mais, un peu plus loin, dans cette dernière divulgation, dans la liste des joyaux fixes, le « Mosaick pavement » mentionné dans le manuscrit Wilkinson est remplacé, ici, par « a Trasel Board »  :

Masonry dissected


Note : En ce qui concerne la transcription des textes et compte-tenu de la répétition de certains termes dans des formes voisines il convient de ne pas commettre d’erreurs. La graphie de ces textes comporte quelques particularités : usage des terminaisons en –ick plutôt qu’en –ic (mosaïck pavement) ou doublement des l finaux (broach Urnell, Jewell), formes en ‘d pour ed. Knoop et al. indiquent que ce type de graphie est typique du début du XVIIIe siècle, ce qui est confirmé par la datation des manuscrits.  Aussi, toutes les copies des textes en anglais, reproduites ici, sont des fac simile de la deuxième édition de l’ouvrage « The early masonic catechisms » de Knoop D., Jones J.P. et Hamer D. [1] qui, le premier, a publié ces documents anciens. Dans cet ouvrage, les questions et réponses des deux documents Wilkinson et Masonry dissected sont mises en regard l’une de l’autre. La soustraction du texte de Masonry dissected permet d’identifier celui appartenant au Wilkinson. Ici, les textes soulignés appartiennent à Wilkinson, ceux qui ne le sont pas à Masonry dissected. Ce remplacement pourrait nous aider à comprendre ce que représente le pavement en mosaïque dans l’esprit des rédacteurs de ces documents qui sont  contemporains, nous y reviendrons.

L’on se trouve donc devant deux textes qui donnent, des « furnitures », des listes différentes :
-  Dans W. : « Bible, Compasses and Square. »
- Dans M.D. : « Mosaick pavement, Blazing star and indented Tarsel ».

Également, les joyaux fixes sont différents :
- Dans W. : » Mosaick pavement, Dented Asler and Broach Urnell ».
- Dans M.D. : “Trasel Board, Rough Ashler and Broach’d Thurnel”. 

Pour compliquer encore davantage les choses, on trouve dans A Mason’s confession de 1727 (Les aveux d’un Maçon.) l’indication suivante :


Fac simile de “A mason’s confession” in Knoop et al.

Comme on le voit ci-dessus les « jewels » de la loge sont, ici : « A square pavement, a dinted ashler and a broached dornal ».

Note : Dans Masonry Dissected, « Bible, Compasses and square » sont donnés comme « Other furnitures » et dans Wilkinson comme « furnitures ».
Nous sommes donc, au total, en présence de trois textes contemporains qui donnent du premier des joyaux fixes une indication différente. Qui plus est, la confusion est à son comble en constatant qu’a la question : « Quel est leur usage ? (des joyaux fixes) » la réponse pour ces trois syntagmes différents (mosaïc pavement, square pavement, trasel board),  est presque identique dans ces trois textes :


A Mason’s confession

On pourrait donc supposer qu’il y a, ci-dessus, identité entre « Trasel board» et » Mosaïc pavement » et que tous deux servent au Maître pour y dessiner ses plans (draw his design upon). De même, en se référant au « square pavement» de "A Mason’s confession" et en raison, ici aussi, d’un usage identique (draw his ground-draughts on) il serait possible de penser que ces trois syntagmes « square pavement », « Trasel board » et « Mosaïc pavement » désignent, en fait la même chose.

Avant d’aller plus loin, il est nécessaire de préciser ce que ces trois termes signifient, réellement, en français.


2 - Traduction

En ce qui concerne les problèmes et les erreurs de traduction qui émaillent les rituels Émulation en français, on consultera la thèse de Doctorat ès-lettres de Philippe Langlet, (p. 145 et suiv.) [2] ainsi que  son ouvrage « Les textes fondateurs de la Franc-maçonnerie » [6]. 

 2-1 « Furniture »

« Furniture » désigne le mobilier d’une pièce mais aussi les choses nécessaires à une entreprise quelconque (les provisions, le matériel, l’équipement etc..). On saisit le sens général qui se dégage de «furniture» (notons que ce mot est au singulier dans l’ « Emulation ritual »), c’est celui de l’équipement (au singulier) indispensable au fonctionnement de la Loge. Je ne sais quel mot proposer à la place du malencontreux « bijoux » et encore plus malencontreuses « lumières », pour ces objets dont l’analogie avec les « Hiera » ou objets sacrés des Mystères d’Éleusis est évidente. Peut-être « des meubles » ou « des décorations» ce qui aurait l’avantage de rappeler la lumière et la valeur attributive, mais  le mot « équipement » paraît plus convenable. 

2-2 « Immovable jewel »

Il convient de mentionner ici, pour ne plus y revenir, que la traduction d’ « immovable » par inamovible est une erreur fâcheuse.

Dans le Littré : « Inamovible : Qui ne peut être ôté d'un poste, qui ne peut être destitué de sa place arbitrairement. En France, les juges sont inamovibles ». Ce terme juridique ne peut donc s’appliquer en aucune façon à un objet. Le texte anglais oppose : « movable » qui veut dire mobile et « immovable » qui veut dire fixé.
Dans le dictionnaire Collins, on trouve, en effet : « Immovable : An immovable object is fixed and cannot be moved”. On lira donc : « ..trois mobiles et trois fixes » ou, pour conserver l’assonance : « …trois mobiles et trois immobiles ».

Jewel : Ce mot provient du Latin jocus signifiant « plaisant, plaisanterie, badinage » au travers du vieux Français joil, iuel, iouel termes diminutifs de joie. Joyau ne désigne pas seulement un bijou mais également tout objet de prix ou de valeur, au propre comme au figuré. 

2-3 « Mosaïc pavement »

Habituellement traduit par « pavé mosaïque », cette appellation est tellement ancrée dans le monde maçonnique francophone qu’il serait vain de vouloir la modifier. Cependant, cette traduction est inexacte. « Pavement » n’est pas un pavé, mais un pavement ou un pavage. « Pavé » se dit en anglais : « cobblestone » ou « paving stone », « a pavement » est, tout simplement, un pavement :

Dictionnaire Oxford: Pavement : A flat part at the side of a road for people to walk on.
Dictionnaire Collins : Pavement :  A pavement is a path with a hard surface, usually by the side of a road.

En français, voyons ce que dit le Littré : Pavement :

1  Action de paver. Le pavement d'une cour.
2 Genre de pavage intérieur, orné avec luxe, avec goût. Un pavement en mosaïque.

Par ailleurs dans ce même ouvrage : Pavage :

Ouvrage fait avec du pavé. Pavage de grès.

On pourrait cependant admettre que, par synecdoque, on utilisât « pavé » à la place de pavement : Pavé :

1 Morceau de grès, de pierre dure dont on se sert pour paver.
2 Assemblage de pavés qui couvent une aire, une surface. Le pavé d'une cour, d'une rue.

Il faudrait ainsi dire « un pavement en mosaïque » ou « un pavé en mosaïque » à l’extrême rigueur.

Pavement en mosaïque n’a rien à voir avec Moïse, mais vient du latin « Opus Musivum » ou oeuvre réalisée par les Muses. Ce type d’ouvrage apparaît à Uruk en Mésopotamie, 6000 ans avant J.C. Il est également décrit dans la tradition biblique, (1 Rois :6 et Esther 1:6).

Connu dans la Grèce antique, il voit son âge d’or dans la Rome antique et sera repris ensuite par les Byzantins avec la fortune qu’on lui connaît. Les petits cubes composant une mosaïque se nomment des tesselles, d’où, en anglais, « tesselated » qui veut dire carrelé ou carroyé, rendu en français par l’adjectif désuet « tessellé ».

2-4 « trasel board».

Si la traduction de « mosaîc pavement » est facilement perçue, il n’en va pas de même pour « trasel board».

Plusieurs interprétations ont été données à ce mot « trasel » qui n’existe ni en anglais ancien (old english) ni en anglais contemporain et qui est, manifestement une erreur de transcription. Notons tout d’abord que ce mot se retrouve dans les anciens manuscrits avec une orthographe assez variable : on lit ainsi « « tresel », « tarsel », « trasel » « trassel ».

Plusieurs hypothèses ont été présentées. Ce mot serait ainsi une corruption de « trestle » » qui signifie tréteau ou chevalet, dans la mesure ou une « planche tracée » serait posé sur un tel support au centre de la loge :

Trestle board 

Ou encore une mauvaise transcription de « tassel » qui signifie gland ou houppe ou frange. Si cette hypothèse s’avère probable pour « indented tarsel » autre syntagme qui est étudié dans un autre travail, elle ne peut être retenue ici sauf à y voir une « planche dentelée », possible, mais peu probable.

B.E Jones [3, p.401] évoque la possibilité de lire ici « tracing board » tout en soulignant sa préférence pour « trestle board ».

E.H. Dring, dans un long article de Ars Quatuor Coronati [4] a longuement étudié ce problème et estime que « trassel » est, comme dit dans l’Old english dictionnary, une forme ancienne de « trestle » , et opte, avec beaucoup de prudence, pour « Trestle board » tout en soulignant que, par endroits, on peut lire « Tracing board »  ce qui désigne alors tout autre chose ( cf.« Tracing the lodge », étudié plus loin).

E.H. Dring ; AQC, vol. 29 ; 1916

Enfin Knoop et Al. [1 p. 142] optent pour « tracing board ». On retiendra cette hypothèse pour la suite.

Il est utile de rappeler, ici encore, une erreur de traduction malheureusement consacrée par l’usage : « tracing board » ne veut pas dire « planche tracée » (qui se dirait : traced board) mais planche à tracer ou planche de traçage. Les auteurs des divulgations françaises du XVIIIe siècle ne s’y étaient pas trompés, eux, en écrivant « planche à tracer » comme par exemple dans « l’Ordre des Franc-maçons trahis » de 1745.

Note de la Rudyard Kipling Lodge : Depuis longtemps, les planchez a tracer sont remplacées par des tableaux de loge et c'est l'appleation que nous privilegions. Un usage qui se retrouve en loge où l'on retourne un tableau peint.

2-5 Square pavement :

Ce terme, retrouvé, dans la « A Mason’s confession» n’est pas la première mention connue de celui-ci. Il convient de se souvenir que l’Edinburgh register house de 1696 ou le manuscrit Chetwode Crawley de 1700 qui donnent, parmi les joyaux de la loge, le premier « square pavement , perpend ester and a broad oval » et le suivant « « square pavement , Perpendester and an broked-mall ».

Aucun de ces deux catéchismes ne définit, cependant l’usage du « square pavement ».

Gilles Pasquier a longuement discuté la traduction de ce syntagme. Plusieurs traductions ont été données : « Pavé d’équerre » est manifestement erroné. « Pavé carré » se rapproche mieux de la réalité. G. Pasquier [5] a proposé un temps cette traduction avant de conclure qu’il s’agit d’un «pavé quadrillé» puisqu’on y dessinait des plans. Ceci est presque exact mais, on l’a déjà signalé, il vaut mieux dire pavement que pavé. Ensuite square dans square pavement ne veut pas dire « quadrillé » ce qui se traduirait par « squared » et non par « square ». Force est de constater qu’il faudrait dire : « Pavement en carré ».(square dance = danse en carré) Knoop et Al. ; notent, d’ailleurs :

On peut, également, écrire comme le propose P. Langlet [6] «  pavement en carreau ».


3 - Des Early masonic catechisms à l’Emulation ritual.

Le chemin qui conduit des anciens catéchismes (early catechisms) au rituel Émulation tel que nous le connaissons est complexe et malaisé. Beaucoup de documents du XVIIIe siècle ne mentionnent pas le pavement en mosaïque, d’autres, à l’endroit où l’on devrait le trouver, utilisent des termes différents, comme tracing board , lodge board ou drawing board, trasel board et enfin, parmi ceux qui le mentionnent, il figure tantôt parmi les bijoux fixes (immovables jewels), tantôt dans les « furnitures » c'est-à-dire , littéralement des meubles, ou équipement.

Cependant, la deuxième moitié du XVIIIe siècle est marquée, en Angleterre par l’existence de deux grandes loges rivales, celle des « Antients »  et celle des « Moderns », et il est difficile de trouver mention du pavement en mosaïque dans les documents reflétant la tradition des Anciens. L’Hahiman Rezon de Laurence Dermott (1756) est un livre de constitutions qui ne comporte aucun catéchisme et « The three distinct knocks » (1760), divulgation révélant le rituel de la Grande loge des Anciens ne comporte qu’une formule sibylline décrivant le tracé (au sol ?) de la loge :

 

S’il est mentionné que ceci est un dessin de la loge, on conviendra que ce n’est pas là un pavé en mosaïque.

Certaines divulgations prétendent, faussement, refléter les deux traditions, mais sont en fait des « exposures » Modernes, bien qu’elles mélangent, parfois de manière incohérente, les catéchismes des deux tendances. Ainsi les ouvrages suivants :

- En  1745, dans “Solomon in all his glory: or, the master-mason. Being a true guide to the inmost recesses of free-masonry, both Ancient and Modern” par T.W. (probablement Thomas Wilson, V.M. de la loge Swann tavern)  on trouve :

 “•Name them (the Ornaments of your Lodge).
The Mosaic Pavement, the indented tuft and flaming star” (sic)   
•What use are they applied to?
The Mosaic pavement ornamented the inside of the temple,    
the indented tuft covered its extremities, and the flaming  
star enlightened the chamber.”

Ailleurs, on lit :

•What do you mean by the immovable jewels?
•I understand by these The board which the master draw  
his designs upon, the cubical pointed stone upon which the  
brother-craft wet (?)  their tools and the rough stone used  
by  the apprentices.”

Dans la divulgation « Jachin and Boaz » de  1762, on trouve des indications sur « Comment tracer la loge » :

“He [the candidate] is also learnt the Step, or how to advance to the Master upon the Drawing on the Floor which in some Lodges resembles the Grand Building termed a Mosaic Pavement,  to and is described with the utmost exactness. They also draw other figures, one of which is called the Laced Tuft, and the other, the Throne beset with Stars” (laced tuft=houppe lacée; Throne beset with stars=trône entouré d’étoiles!)

Dans “Mahabone or the Grand lodge’s door opened. Wherein is discovered the whole Secrets of Free-Masonry, Both Ancient and Modern” de 1766 :

•“Name them (the Furniture in your Lodge).
•Mosaic Pavement, Blazing Star and Indented Tuft.
•What are the immovable Jewels?
•The Trasel Board which the Masters drew their designs  
upon...cubic stone and rough stone.”

Certaines divulgations, enfin, reflètent, ouvertement, la tradition des Modernes, ainsi :

- William Hutchinson (1732-1814) était membre  de la loge Concord  (Moderns) établie à Barnard Castle. Il en fut le vénérable à plusieurs reprises et réunit plusieurs discours qu’il tint dans sa loge et dans d’autres dans un ouvrage : « The Spirit of Masonry » de 1775  où il énumère (p.83)  les « furnitures » de la loge qui sont : « Technically speaking, the furniture of the lodge is the Bible, Square, and Compass only » et les “jewels or ornements » de la loge qui sont :  Mosaik work  et Blazing star ». 

Ce texte est intéressant car il établit une équivalence entre « jewels » et « ornaments ». Ce dernier terme a été noté, pour la première fois dans « Solomon in all his glory » de 1745, où il prenait la place de l’habituel « furniture ». Par la suite ces trois termes (ornaments, furniture and jewels) vont se trouver nettement séparés dans les divulgations ultérieures.

Ainsi, J.Browne publia en 1802 un ouvrage chiffré intitulé : Master-key, through the three degrees of freemason’s lodge, by way of polyglot.

Au 5ème chapitre “Description of the Interior of the Lodge, and whom it is dedicated, on y lit: “The interior of the Lodge is composed of Ornaments, Furniture and Jewels. The Ornaments are: the Mosaic Pavement,.. the Blazing Star… Indented border or Skirting”.

Plus loin, le catéchisme suivant :

“•Brother S.W. What is the interior Part of a Mason's Lodge     
composed of ?
•Ornaments, Furniture and Jewels.
•Name the Ornaments!
•The Mosaic Pavement, the blazing Star, and the tasselated Border.
•Their Situation?
•The Mosaic Pavement is the beautiful Groundwork of a   
Mason's Lodge, the blazing Star is the Glory in the Center   
and the tasselated Border is the Skirtwork round the  Lodge.
•What is the Furniture of a Mason’s Lodge?
•The Bible, Compasses and Square”

Plus loin encore :

•Name the immoveable Jewels!
The Tracing Board, and the rough and perfect Ashler.
• Their Uses?
•The Tracing-Board is for the Master to lay down his Lines   
and draw his Designs upon; the rough Ashler is for the 
entered Apprentice to carve, mark, and indent upon; and the    
perfect Ashler is for the more expert Workman to try and 
adjust his Jewels upon ».

- William Preston, Vénérable Maître de la Loge Antiquity N°2 (Moderns), célèbre auteur de « Pocket manual or Freemason’s Guide to the Science of Freemasonry » précise dans “Illustration of masonry” de 1812 :

“The internal Ornaments of the building . . . consist . . . [o]f   
the mosaic or chequered pavement; the blazing star; and   
the indented skirting. . . . “ 

Plus loin il décrit les « Furnitures »: « First degree. Section V. Clause II : 

•What is the proper furniture?  
• It consists of the Sacred Law, the square and the compass.” 
et  enfin comme “Jewels” :
•” Name the immoveable Jewels :  
•The rough ashlar, smooth ashlar and the tracing board”. 

Enfin dans : “Manual of Freemasonry” en 1833, on trouve :” The interior of a Freemason’s Lodge is composed of ornaments, furniture and jewels. The ornaments of the Lodge are the Mosaic pavement, the blazing star, and the in- dented or tesselated border. The immoveable jewels are the tracing board and the rough and perfect ashlers.”

A la lecture de ces documents, on peut éprouver une certaine perplexité, tant les énoncés sont variables d’un texte à l’autre. Une tendance se dégage cependant, c’est que le pavé en mosaïque appartient bien aux « ornaments » de la loge, suivant en cela la tradition des « Moderns ». On pourrait s’étonner que le texte actuel du rituel Émulation ne suive pas exactement les indications de W. Preston dont on connaît la grande influence à la fin du XVIIIe siècle.

Ce dernier, à l’origine,  a été initié dans une loge des « Antients » et a fait, ensuite, de nombreux aller-retour dans plusieurs obédiences avant de se fixer définitivement chez les « Moderns. » Cependant, il n’a aucunement participé aux travaux de la Loge de Réconciliation, et d’ailleurs il est décédé en 1818.

Malgré cela force est de constater que sur le point particulier des « ornaments » et « furnitures » notre texte Émulation actuel reflète bien le rituel des « Moderns » alors qu’il est généralement établi que lors de la réconciliation c’est le point de vue des « Antients » qui a triomphé. Cette affirmation n’est valable que dans la mesure où nous ignorons la vision des « Antients » sur ce point particulier, où il est permis de supposer qu’elle était peut être identique à celle des « Moderns » comme semblent l’indiquer les divulgations de « Salomon ..» et « Mhabone… » qui se revendiquent à la fois Modernes et Anciennes.

- Dans « Manual of Freemasonry » de 1833 Richard Carlile donne un texte très voisin de l’actuel :

“The ornaments of the Lodge are the Mosaic pavement, the blazing star, and the indented or tesselated border….
The furniture of the Lodge is the volume of the sacred law, the compasses and the square.
The immovable jewels are the tracing board and the rough and perfect ashlers.”

On aboutit ainsi au texte actuel du rituel Émulation : 

•The interior of a Freemason’s Lodge is composed of Ornaments, Furniture, and jewels.
•The furnitures of the lodge consist of the VSL, the compasses and square.
•The ornaments of the Lodge are the Mosaic pavement,
the Blazing star, and the indented or tessellated Border;
•The immovable jewels are the Tracing Board, the Rough and Perfect Ashlars.


4-  Les « précurseurs » du pavement en mosaïque : la planche à tracer et le pavement en carré.

4-1 La planche à tracer : « Trasel board ».

Comme on a pu en juger à la lecture des éléments historiques et bibliographiques précédents, le pavement en mosaïque est loin d’être un symbole qui s’est imposé précocement dans les rituels maçonniques, tant son apparition y est tardive. D’ailleurs, même une fois apparu, au moins dans la tradition des Modernes, sa place reste incertaine et mouvante au sein des catéchismes du début du XVIIIe siècle. Il peut exister une certaine confusion entre "Planche à tracer" et "Pavement en mosaïque", en particulier dans le Wilkinson qui est le seul à donner  le « mosaic pavement » dans les « immovables jewels » (avec le moellon et la pierre taillée) en lieu et place du « trasel board » retrouvé dans toutes les divulgations ultérieures où ce dernier est associé à ces mêmes moellons et pierre taillée (les deux « Ashlars »)..

La première mention d’un objet destiné à tracer des plans est  une mention isolée dans York fabric roll de 1399 sous la forme de « tracy bordes ». « A trasel board » apparait ensuite, comme dit plus haut, dans Masonry dissected de 1730. Dans un article très détaillé, déjà cité, d’A.Q.C. 22 [4] intitulé «  The Evolution and Development of the Tracing or Lodge Board », E.H. Dring [4] a épluché de nombreuses minutes de loge du XVIIIe siècle et a noté, qu’a l’origine, un Maître de la loge était appointé pour « draw the Lodge » c'est-à-dire dessiner la loge. Dring pense que dans l’expression « Draw the lodge » cette « Lodge » était un tableau sur lequel avait été dessiné « The form of the Lodge » et qui était posé sur des tréteaux (« Trestle Board, » voir supra). Dring remarque, en effet, que, dans « The dialogue between Simon and Philips » de 1725 [7] sont donnés deux schémas, reproduits ci-dessous, dessinant la « forme de la loge » et destinés à être tracés dans la loge, l’un reflétant la tradition des « Anciennes loges » l’autre celle des « Nouvelles loges » « Under the Desaguliers’s regulations » c'est-à-dire selon  les règles de Désaguliers  que suivaient les Moderns :


« Forme » des « anciennes loges »


« Forme » des « loges Modernes » (selon Désaguliers).

Comme on peut le voir, l’étoile flamboyante n’apparaît pas sur le schéma des « anciennes loges » alors qu’elle figure sur le schéma suivant.
On la retrouve sur d’autres tracés de loges « Moderns » accompagnée du « damier » 


MS Carmick 1727

On a noté, précédemment que, dans « Three distinct knocks », un schéma similaire devait être tracé :     

The « drawing the lodge » in T.D.K.

Dring pense que cette « forme de la loge » après avoir été dessinée au sol,  fut, ensuite, dessinée, par commodité, sur un simple tableau (« Lodge board ») amovible, évitant d’avoir à tracer directement sur le sol (with clay, chalk and charcoal ) et à effacer ensuite. Par la suite, ce tableau est devenu seulement un des éléments incorporés dans les « Tracing boards » modernes où le plan de la loge est remplacé par celui du sol du temple : 

La vraie « planche à tracer » Selon E.H. Dring

Ceci est résumé dans la conclusion de son travail dont nous donnons ci-après la traduction :

 «Il existe, ici, une probabilité, que la « planche tracée » ait eut, à un moment donné, une existence individuelle et séparée comme planche à dessin pour que le maître y dessine des lignes dessus.., etc. Mais j'espère pouvoir démontrer que dans la franc-maçonnerie anglaise elle n'a plus qu'une existence emblématique en tant qu'un des éléments sur ce meuble (furniture). Je peux partir du principe que la vraie planche de traçage est cette planche à dessin qui ,dans les « tableaux de loge » de Harris, est généralement représenté allongée sur le sol devant le piédestal dans la « planche tracée » du premier degré. Sur les « Lodge boards » anciennes, cela est évident, mais au fur et à mesure que les représentations des « Lodge boards » se sont élaborées, un plan a été ajouté, qui est populairement censé représenter le plan au sol du  Temple du Roi Salomon ».

A.C.F.Jackson [8 p. 83] reflète les conclusions des travaux de Dring en expliquant que la « Trasel Board » est bien un une planche à tracer destinée au Maître pour y tracer ses plans mais que les « planches tracées » modernes ne sont pas un développement de celles-ci, car elles dérivent, elles, des diagrammes tracés sur le sol de la loge. Par la suite plusieurs éléments symboliques du premier degré ont été inclus dans ces « planches tracées », dont la « tracing board » du Maître et aussi le pavement en mosaïque. La première mention, connue, de l’achat d’une « planche à tracer » (drawing board, lodge board ou tracing board) est trouvée dans les minutes d’ Old King's Arms Lodge No. 28  en 1733 [3]: “On the motion of the Master the Brethren acquired "de Clerc's Introduction on the Principles of architecture" and a Drawing Board and Trestles for the use of the Master and his Lodge”. Soit : « Sur proposition du Maître, les frères ont acquis une “Introduction aux principes de l’architecture de de Clerc“  et une planche à tracer et des tréteaux pour l’usage du Maître et de la loge ». On retrouve ceci dans le “Free masons guide to the symbolic degrees” (1801 ) où l’on cite, dans les bijoux immobiles “The rules and design laid down by the Master on his tretle (sic) board”.

Initialement, on l’a dit, « La forme de la loge » était tracée sur le sol avec « Chalk, charcoal and clay » soit la craie, le charbon de bois et l’argile.

Cette dernière matière a donné lieu à bien des spéculations. Il s’agit là seulement d’une matière colorante, en substance de l’ocre, qui, comme chacun le sait, est une argile. Dans certaines divulgations, on trouve à la place de l’argile, une « stone blue » qui est de l’ardoise (à tracer). On a vu par ailleurs que ces trois matières, connues dans la maçonnerie anglo-saxonne sous l’abréviation des “Three C.” symbolisent la manière dont un Apprenti doit servir le Maître, c’est à dire avec générosité, enthousiasme et zèle et non, comme souvent dit mal à propos : liberté, ferveur et  zèle. En effet le mot freedom ne doit pas être pris ici dans son sens moderne de liberté mais plutôt dans son sens en ancien anglo-saxon de franchise ou de générosité. G. Chaucer l’utilise ainsi dans le prologue des Contes de Canterbury (1387) :

« A knight (who) loved chivalric Trouthe and Honor, Freedom and Courtesy » « Un chevalier (qui) aimait la foi et l’honneur, la générosité et la courtoisie chevaleresques. ».
 « Fervency », en outre, ne signifie pas, ici, ferveur (sentiment à tonalité religieuse), mais enthousiasme.

A l’époque où l’on traçait la « forme de la loge » sur le sol avec ces matières colorantes, on devait l’effacer, à la fin de la cérémonie d’initiation avec « a mop and a pail » c'est-à-dire un seau et une serpillère. On lit, par exemple, dans Jachin and Boaz de 1762 :

“The ceremony being now ended, the new made member is obliged to take a mop out of a pail of water brought for that purpose, and rub out the drawing on the floor, if it is done with chalk and charcoal”.  C’est à dire :«  La cérémonie étant maintenant terminée, le nouveau membre est obligé de sortir une serpillère d'un seau d'eau apporté à cet effet, et d’effacer le dessin sur le sol, si cela est fait avec de la craie et du charbon de bois ».On finit par préférer utiliser une « lodge board » tout prête.

4-2  Le pavement en carré : « square pavement ».

Comme il a été dit précédemment, dans les divulgations antérieures au MS Masonry dissected, le moellon et la pierre taillée ( Perpend ester § Broached dornal a.s.o.), sont les joyaux de la loge, et sont associées, non pas à une « tracing board » comme dans les divulgations ultérieures, mais à un « square pavement ». Il en est ainsi dans Edinburgh Register House de 1696, et  Chetwode-Crawley de 1700, ainsi que, on l’a vu, dans  A masons’s confession  de 1727.

- Edinburgh Register House :” Square pavement, Perpend Esler and broad Oval”.
- Chetwode-Crawley :” square pavement, Perpend esler and a Broked mall”.
- A Mason’s confession: “Square Pavement, Dinted Ashler and a broached Dornal.”

Cependant le M.S. Sloane N° 3329 de 1700 écrit : « Jewels are Square pavement Blazing star and the denty Tassley”!
Comme on peut le voir, le Sloane donne des “jewels” une liste habituellement considérée, dans les divulgations postérieures, comme représentant les “ornaments» associant « blazing star » et «  indented border (ou denty tassley=indented tassel) » à « mosaic pavement ». Ce dernier terme est, curieusement, remplacé, ici, par « square pavement ».Ceci montre, de nouveau, l’extrême mouvance des catéchismes en ce XVIIIe siècle débutant, certaines divulgations reflétant une vision plutôt écossaise, d’autres plutôt anglaise des questions-réponses. Que penser de ce square pavement ?


Solomon in all his glory 1745

Ce « square pavement » est référencé, comme servant au Maître pour tracer ses dessins, par opposition au moellon qui est pour l’Apprenti et la pierre taillée pour le Compagnon. Il occupe donc la place attribuée dans les divulgations suivantes, à partir de 1730 au « tracing board » tracé primitivement sur le sol de la loge puis sur un tableau (drawing board or lodge board). On trouve donc, constamment l’association « square pavement + dented ashler + Broached dornal ou ornell », puis, ensuite, « Tracing board + Rough et perfect Ashlar » (rappelons que « perpend esler » ou « dented ashler et broached ornel ou dornal » sont des formes archaïques de « rough and perfect ashlars »).

Pour résumer, disons que la pierre brute et la pierre taillée sont associées, dans les divulgations les plus anciennes à un « square pavement », et dans les plus récentes à une « tracing board » mais pas à un pavement en mosaïque, sauf l’exception signalée.

Ce « square pavement » ne peut donc pas être synonyme de « mosaïc pavement » car il n’occupe jamais dans toutes les divulgations (sauf, exemple isolé et étonnant dans le Wilkinson !) la place d’un « ornament » comme ce dernier mais celle d’un « jewel » comme le sera « a tracing board » par la suite. Ce square pavement présente cependant un aspect différent de celui du dessin des « lodge boards » ou des « tracing boards » que nous avons présentés ci-dessus. Ce square pavement est bien un pavement en carré (ou en carreaux) comme le souligne G. Pasquier, à l’article duquel nous renvoyons. [5].  Ceci est souligné par les termes retrouvés dans « Les aveux d’un Maçon » : «..for the master to draw his ground draughts on » (pour que le Maître dessine dessus ses dessins au sol) qui montre que le «Square pavement» est bien le sol, mais c'est un sol quadrillé sur lequel le Maitre peut tracer des plans en grandeur réelle. Jacques Thomas, fin connaisseur de la maçonnerie opérative, dit [9]  que, selon lui, le pavé en mosaïque serait la prolongation en symbole du pavement en carré ce remarquable outil de Maître. On note ainsi dans Jachin and Boaz de 1762 :

“He [the candidate] is also learnt the Step, or how to advance to the Master upon the Drawing on the Floor which in some lodges resembles the Grand Building termed a Mosaic Pavement.”

« Tracing board » et « Square pavement » sont donnés tous les deux comme servant au Maître pour tracer ses dessins, ce qui peut paraître contradictoire. Il est vrai que l'un n'empêche pas l'autre et mieux, que les deux se complètent dans le dessin de l’édifice. Les deux outils servent au Maître à tracer des plans, mais à des stades différents du travail. Nous ne croyons pas qu'il y ait ici une confusion et ce pour les raisons suivantes :

-Les deux textes de Masonry Dissected et du Ms. Wilkinson sont trop proches l'un de l'autre pour que les fonctions du pavement en carré et de la planche à tracer y  soient fondamentalement différentes.
- Les « Aveux d'un Maçon » reflètent la Maçonnerie écossaise de la même époque, mais cette fois sur le versant opératif. L'auteur est très clair et selon lui le «square pavement» sert bien à tracer des plans sur le sol.

J.Thomas  [9] signale, justement, que la planche à tracer et le pavement en carré servent tous deux au Maître pour tracer ses plans, mais à deux étapes différentes de la conception de l’édifice. Ceci pourrait paraître sibyllin, si l’on ne se souvenait de ces étapes. Autrefois, comme aujourd’hui d’ailleurs, l’architecte établit des plans qui sont confiés ensuite à un calepineur. Le calepineur est un dessinateur spécialisé qui transforme les dessins d'architecte en plan d'exécution, les « calepins d'appareil », qui détaillent à diverses échelles les cotes des pierres, et précisent leur forme et leur matière. Il est évident que le calepineur est un Maître rompu aux techniques de la stéréotomie, du dessin et de la taille de Pierre.       

Exemple de calepin d’appareil

Ces calepins d’appareil sont confiés ensuite à l’appareilleur qui est chargé de l'appareil des pierres d'un bâtiment. C'est lui qui trace, au sol, en vraie grandeur, les épures par panneaux ou par équarrissement et les gabarits ou moles qui serviront de guide pour les tailleurs de pierre.

L’appareilleur

Souvent, le calepineur et l’appareilleur sont une seule et même personne.

Au moyen-âge ce personnage était le Parlier, celui qui transmettait les instructions de l’architecte aux compagnons tailleurs (qui leur parlait). Parfois, comme durant la construction de la cathédrale de Strasbourg, le parlier remplaçait ou succédait à l’architecte. On aura compris que le calepineur utilise la « planche à tracer » pour établir ses dessins tandis que l’appareilleur utilise le « pavement en carré » pour tracer ses épures et gabarits en vraie grandeur (voir infra). Tous deux sont,  à l’évidence des Maîtres maçons expérimentés.

A partir de 1730 et Masonry dissected, le square pavement disparait des catéchismes pour être remplacé, dans les immovable jewels par la « tracing board ». La mutation amorcée par le Sloane n°3329 (apparition de blazing star and denty tassley soit indented tassel)) et le Wilkinson (apparition de mosaick pavement) va se trouver synthétisée et fixée définitivement dans Masonry Dissected comme on peut le voir dans le résumé chronologique suivant :

- Avant le Sloane : Square pavement, dinted ashler and broached ornell.  
- Sloane N° 3329 de 1700 : Square pavement Blazing star and the denty Tassley (!)
- Wilkinson 1727: Mosaic pavement dented ashler and broach ornell. 
- Masonry Dissected 1730 •Mosaick pavement, blazing star and indented border.
                         •Trasel board, rough ashler and  broached thurnell.

A suivre...

Avec l'aimable autorisation du W.B. Patrick C. BUFFE, Meridian 4106-UGLE, London, UK.


Bibliographie :

1- Knoop D. Jones J.P. Hamer D.: Early masonic catechisms. H. Carr édit .pour A.Q.C. 1975.
2-Langlet P. : Les deux colonnes de la Franc-Maçonnerie : La pierre et le sable. Thèse de doctorat ès lettres, p. 141 et suiv. 
3- Jones B.E.  :Freemasons guide and compendium. Edité par Cumberland House Publishing (2006).
4- E.H.  Dring : The evolution and development of the tracing of lodge board. A.Q.C. 29, 1916 p.243-245.
5- Pasquier G. : Le manuscrit Wilkinson,(c.1727).
6-Langlet P. : Les textes fondateurs de la franc-maçonnerie. Dervy 2006.
7- Dialog between Simon and Philips. Le « Dialogue entre Simon et Philippe» est un manuscrit contenu dans le même document que The Whole Institution of Masonry, 1724.Voir [1]
8-Jackson A.C.F.: Glossary of the Craft & Holy Arch Rituals of Freemasonry. Edited by Ian Allen Publishing (2008). 
9-Thomas J.: Tableaux de Loges & Gravures Maçonniques.Dervy-Livres.2005.
10-Mackey A.G.: Encyclopedia of freemasonry and its kindred sciences. (article “mosaïc pavement”).