Rudyard Kipling
20 Décembre 2023

Partie 2 : The mosaic pavement... le pavement et autres ornements

 

Seconde partie de l'article « The Mosaic pavment ...» : ici !

 

5 - Le pavement en mosaïque :
 
5-1  Dans la Bible

L’introduction du temple de Salomon, dans les rituels maçonniques est contemporaine de celle du grade de Maître, dans les années 1720-1730. On se demande toujours comment et pourquoi la légende d’Hiram et les références au Temple sont apparues dans la maçonnerie du XVIIIe siècle débutant.

En ce qui concerne le pavement en mosaïque, il n’existe aucune référence biblique mentionnant un tel sol dans le temple.

On trouve, en effet, la description du temple dans 1 Rois 6 :

1 Rois 6 15 Il couvrit le sol de la maison de planches de cèdre. 
1 Rois 6 30 Il couvrit d'or le sol de la maison, à l'intérieur et à l'extérieur.

Il est possible que les rédacteurs aient été inspirés par deux passages bibliques :

Esther 1 : 6  Des lits d'or et d'argent étaient posés sur un pavé de porphyre, de marbre blanc, de nacre et de marbre noir.

A la suite de A.G. Mackey [10], de nombreux auteurs pensent que l’idée d’un pavement particulier a pu être inspirée par l’Évangile de Jean, XIX-13 : «  Pilate, ayant entendu ces paroles, fit conduire Jésus dehors, et il s'assit sur son tribunal, au lieu appelé Lithostrotos, et en hébreu Gabbatha ». Le Lithostrôtos (du mot grec λιθόστρωτος ) se traduit par : pavé de pierre ou pavé de marbre, chaussée, pavé en mosaïque et vient de lithos : λίθος: pierre, et stronnumi :στρώννυμι : recouvrir. Gabbatha en hébreu (gab-bath-ah' ; גבתא) signife dallage en mosaïque, pavé, saillie ou lieu surélevé.

5-2 Dans le rituel.

Quelques erreurs semblent devoir être soulignées :

Comme dans le rituel Émulation actuel, les divulgations du XVIIIe siècle indiquent que le pavé en mosaïque représente le sol de la loge et non celui du Temple du roi Salomon, ainsi :

Masonry Dissected : Mosaick Pavement, the Ground Floor of the Lodge.
W.Preston : The Mosaic Pavement is the beautiful Groundwork of a Mason's Lodge.
J.Browne : The Ornaments are: the Mosaic Pavement, the beautiful groundwork of the Mason's Lodge.

Dans le rituel Émulation, de nos jours :” ..the Mosaic pavement is the beautiful flooring of a Freemason’s Lodge” (T.L. du Premier grade) mention retrouvé dans les “Lectures” émulation, 5ème lecture, cinquième section :

Explication du tableau de loge du premier grade - Première lecture, 5eme section

La première mention, en anglais, reliant le pavement au Temple, est trouvée dans Solomon in all his glory de 1745 : » The Mosaic pavement ornamented the inside of the temple”. 
Cette mention reste isolée par la suite.

A.C.F. Jackson [8 p.59] souligne que la raison pour laquelle le pavé en mosaïque figurant sur la planche tracée du premier degré s’est transformé en un tapis bien familier couvrant le sol de la loge demeure, à ce jour totalement inconnue. Ci-après le tapis de la Loge à laquelle j’ai l’honneur d’appartenir :

Grand masonic Hall London : lodge room Nr 11. Meridian Lodge 4106

Les ornements d’une loge de Maître maçon sont : « the Porch, the Dormer and the Square Pavement » (Expl. T. L. du troisième grade). La traduction de cette dernière phrase est, ici encore, erronée dans les rituels français, comme il a été expliqué au chapitre 4-2. Il est écrit ici dans le rituel en anglais « square pavement » soit « pavement en carré » et non « pavé mosaïque » ces deux termes n’étant pas, on l’a vu, absolument synonymes.

Il n’y a, hélas, aucune indication, dans le rituel Émulation et dans les « Lectures» de nos jours, que le sol du Temple du roi Salomon fut un pavement en mosaïque. C’est, obstinément, un pavement en carré pour le rituel Émulation, au moins.

Les contradictions de la légende maçonnique :

L’expression du « pavé mosaïque » comme constituant le sol du temple du roi Salomon apparaît en premier dans les divulgations françaises du XVIIIe siècle avant de se trouver reprises dans certaines divulgations anglaises, comme on l’a vu avec Solomon in all his glory de 1745.

Cependant, on l’a dit, ceci n’est nullement repris dans les rituels anglais suivants, ainsi que dans les rituels actuels.

Il existe en effet une grande contradiction dans la vision légendaire. Dans, cette dernière, la loge est supposée se tenir sous le portique d’entrée du Temple et non à l’intérieur de celui-ci et, même si l’on considère, à tort, que le sol du Temple était constitué par un pavement en mosaïque, ce n’est donc pas le cas du portique d’entrée.

Rappelons, enfin, que le « square pavement » ne couvre que le sol du Saint des Saints et non le sol du Temple tout entier. Seul le Grand Prêtre foule ce « square pavement » qui ne saurait constituer, ainsi, le sol d’une loge située sous le portique.

Sans doute ces confusions ont-elles été favorisées par l’introduction des tableau de loge Émulation de Harris qui figurent, au premier grade un pavement en mosaïque couvrant en totalité le sol. Cependant à y regarder de près cette planche du premier degré ne représente pas le Temple de Jérusalem, mais l’intérieur d’une loge, les colonnes y figurant n’étant ni J. ni B., mais celles de S., F. et B. Cependant, les tableaux de loge des deuxièmes et troisièmes grades de Harris, comportent, elles, un pavement en mosaïque sur le sol du Temple, mais placé au mauvais endroit : Oulam pour le deuxième et Hekal pour le troisième, alors que seul le Debir comporte un pavement en carré, le sol de l’Oulam et celui du Hekal étant, eux, unis.

6 Les autres ornements.
 
6-1 L’étoile flamboyante.

Comme indiqué dans le rituel, l’étoile flamboyante est une théophanie du GADLU : 

Exode 16 :10 : « Et tandis qu'Aaron parlait à toute l'assemblée des enfants d'Israël, ils se tournèrent du côté du désert, et voici, la Gloire (Kabowd, כָּבוֹד) de l'Éternel parut dans la nuée. »

Le rituel dit en effet : « L’étoile flamboyante, Gloire dans le  centre (et non au centre, le rituel dit :« glory IN the center» et non « OF the center ) nous rappelle le soleil qui éclaire la Terre et qui, par sa bienfaisante influence dispense sa bénédiction ( it’s blessings et non ses bienfaits) sur toute l’humanité »  


Eglise de Cany - Le vitrail dit : « Le centre de la gloire » - Cany-Barville 76159

La Gloire de l’Éternel est, presque toujours, une manifestation visible de la présence de Dieu et de sa splendeur :

Exode 33 :18 18 - Et Moïse dit : Je te prie, fais-moi voir ta gloire.
Exode 24:17-  L'aspect de la gloire de l'Eternel était comme un feu dévorant sur le sommet de la montagne, aux yeux des enfants d'Israël.
Lév. 9:6- Voici ce que l'Éternel vous ordonne; faites-le, et la gloire de l'Eternel vous apparaîtra. » 

Ces citations montrent bien les sources bibliques de la liaison entre le flamboiement et la gloire de Dieu qui a, possiblement, inspiré les rédacteurs du rituel. Pour conforter la cohérence de ce dernier, rappelons que le rituel situe bien la manifestation de la présence divine dans le centre de la loge comme le « point dans un cercle » situé, lui aussi au centre de la loge, point qui est habituellement relié à la représentation du GADLU. C’est aussi ce point par lequel passe l’axis mundi qui unit le ciel à la terre. On notera, d’ailleurs, que, dans les loges anciennes, l’étoile flamboyante se trouvait effectivement au centre du tapis couvrant le sol de la loge, ce qui n’est plus le cas de nos jours. Cependant à l’Emulation Lodge of Improvement, le « tableau de loge » comportant l’étoile flamboyante au sommet de l’échelle de Jacob est posée, à plat, au centre de la loge.

Solomon in all his glory 1745

 

Dessin d’un pavé mosaïque donné dans « Freeemason’s guide for the symbolic degrees”. 1801.


6-2 La bordure dentelée

Notons, tout d’abord, que le rituel anglais dit : « Indented or tessellated  border » ceci signifie « bordure dentée ou carrelée ». L’adjectif  téssellé, est une forme désuète mais correcte, en revanche, comme le précise le Littré, dentelé veut dire en forme de dentelle, indenté veut dire sans dent, et l’adjectif correct est ici denté (ex : une roue dentée).

« The indented or tessellated border refers us to the planets, which in their various revolutions form a beautiful border or skirtwork round that grand luminary, the Sun, as the other does round that of a Freemason’s Lodge ».

Le rituel en français donne : « La bordure dentelée ou tésséllée nous rappelle les planètes qui, dans leurs diverses révolutions forment une merveilleuse bordure autour de ce grand luminaire : le soleil, comme la dentelure mosaïque autour d’une loge de francs-maçons ».
Ici encore, beaucoup de libertés  ont été prises dans la traduction, il faut lire, en fait :
«  La bordure dentée ou carrelée nous rappelle les planètes qui, dans leurs révolutions variées, forment une belle bordure ou entourage autour de ce grand luminaire, le Soleil, comme  l’autre le fait autour d’une loge de F.M. »
Dans de nombreuses études symboliques anglo-saxonnes, la bordure dentée représente la présence divine dans la Loge, au milieu et autour des Frères, comme Dieu est présent au milieu de son peuple. Cette « présence » est connue dans la mystique juive sous le nom de Shekinah (prononcer : Shrina). Cette Shekinah, (שכינה) mot  hébreu signifiant littéralement, «demeure», désigne la présence de Dieu parmi son peuple ou l'immanence divine dans le monde. Dans les commentaires rabbiniques les images associées à la Shekina sont : la lumière, la Gloire divine,  et les manifestations (théophanies) de Dieu. Ainsi et comme on le voit, la Kabowd ou Gloire de Dieu est contenue, entourée, dans la Shekina, ou présence de Dieu, comme :

- les planètes entourent le soleil.
- La bordure dentée entoure l’étoile flamboyante.
- Et enfin, le cercle entoure le centre.

Il y a ainsi une certaine analogie entre la cosmologie, la pensée mystique et le tracé géométrique symbolique (voir infra).

6-3 Les glands

Stricto sensu, il s’agit ici plutôt de houppes (tufts) que de glands. Les glands imitent le fruit du chêne et sont ovoïdes, les houppes comportent des franges.

Dans le rituel émulation, elles représentent les vertus cardinales (prudence, tempérance, force (d’âme) et justice). L’explication de la bordure dentée, des franges, des houppes et des « glands » est toute biblique dans sa simplicité. On trouve dans Nombres 15,34.38 : « Qu’ils se fassent une frange aux pans de leurs habits… en la voyant vous vous souviendrez de tous les commandements du Seigneur ». Et dans Deutéronome 22:12.« Tu mettras des franges aux quatre coins du vêtement dont tu te couvriras ». Ces franges (tsittsit, au pluriel tsittsioth) sont un des traits caractéristiques du vêtement Juif traditionnel encore de nos jours. Ils bordent le « talit » ou châle de prière et les Juifs de stricte observance portent en outre, une sorte de scapulaire le « Arba canfôt » ou « Quatre coins » qui porte des franges sur ses bords et à ses quatre angles des glands, car ainsi que dit dans Deutéronome 22:12.13 « Tu mettras des franges aux quatre coins du vêtement dont tu te couvriras. — Nombres, 15:39-40 : « Quand vous aurez ces franges, vous les regarderez et vous vous souviendrez de tous les commandements de l'Éternel, pour les mettre en pratique, Vous vous souviendrez ainsi de mes commandements, vous les mettrez en pratique et vous serez saints pour votre Dieu. » Simple et clair. 

7- De la symbolique des pavements

7-1 Aspect spéculatif.

Énormément de choses ont été écrites  sur la valeur symbolique du pavement en mosaïque et résumer ici ce qui en a été dit serait tout à fait vain. L’essentiel de ces considérations repose sur un double contraste, horizontal et vertical. Le contraste horizontal est celui, manichéen, de l’existence terrestre entre les cases noires et blanches du pavé, symbolisant les heurs et malheurs de la vie et le contraste vertical, celui qui oppose le sol de la loge, achromique, qui représente l’existence terrestre avec le plafond de celle-ci qui est un baldaquin céleste de différentes couleurs qui est la figuration de  ce qui attend après leur existence ici-bas « ceux qui sont restés fidèles et obéissants parmi la race humaine ». Pour  une vue d’ensemble on pourra se reporter à A.G. Mackey [10] au chapitre « Mosaic pavement ». 

Cependant ces développements n’élargissent que de peu les commentaires donnés dans le rituel et rappelés ci-après :

«  Mosaic pavement may justly be deemed the beautiful
flooring of the Lodge, by reason of its being variegated
and  chequered. This points out the diversity of objects
which decorate and adorn the creation, the animate as
well as the inanimate parts thereof. »

Que l'on retrouve traduit par :

"Le pavé mosaique peut etre considéré comme le merveilleux
dallage d'une loge de franc-maçons en raison de sa diversité
et de sa régularité. Ceci fait ressortir la diversité des êtres et des objets
dans le monde aussi bien ceux qui sont animés
que ceux qui ne le sont pas." 

Toutefois, et ici encore, les traducteurs français du rituel ont pris quelques libertés avec le texte anglais. Il faudrait lire :

«Le pavement en  mosaïque peut, à juste titre, être considéré comme le splendide
sol de la Loge en raison de sa nature versicolore
et échéquée. Cela souligne la diversité des objets
qui décorent et ornent la création, ceux qui sont doués de vie comme
ceux qui ne le sont pas. »

Cette traduction pourra surprendre, il convient de la justifier :

- Variegated ne signifie pas diversité, mais (Oxford dictionary) « having spots or marks of a different colour ». En Français : versicolore : Qui offre plusieurs teintes (Dictionnaire Littré).
- Chequered ne signifie pas régularité en anglais, mais en forme  d’échiquier.  En Français : échiqueté : terme de héraldique : rangé comme les cases d'un échiquier. La forme correcte en français vernaculaire selon Littré est échéqué. (venant de eschequier, forme ancienne d’échiquier.

- « Animate as well as the inanimate » a donné lieu à bien de discussions. On voulu voir là une opposition entre ceux qui sont doués d’une âme et ceux qui n’en ont pas, ce qui n’est pas le sens de la phrase anglaise et l’on a ainsi rajouté dans la traduction française, des « êtres » qui ne figurent pas dans le texte original. En fait, L’Oxford dictionary donne pour inanimate : «  not alive in the way that people, animals and plants are » soit : «  non vivant au sens où les gens, les animaux et les plantes le sont » et pour animate » :” lively”. Littré dit, lui, pour inanimé : « qui n’est point doué de vie ». On a donc traduit « ..doué de vie, comme ceux qui ne le sont pas (doués de vie) ».

7-2 Aspect, opératif.

Les procédés graphiques utilisés pour établir des plans ou/et des calepins d’appareil sur une «planche à tracer » mais également des gabarits en vraie grandeur sur un « pavé en carré » sont nombreux, variés et complexes. Ce qui est présenté dans la suite du propos, n’est qu’une vison très limitée de ces procédés, ici l’utilisation d’un carroyage élémentaire. On l’a vu, le pavement en carré apparaît comme une forme précursive du pavement en mosaïque, dans les catéchismes les plus anciens et donc les plus proches de la tradition opérative.

Comme l’a souligné J. Thomas [9], ce pavement constitue un outil fort pratique pour l’appareilleur, en l’aidant à tracer, sur le sol de la loge, les épures et gabarits en vraie grandeur.

Ce pavement « en carré » constitue donc un opérateur géométrique ou « matrice en quadrature ».

Quelques exemples viendront conforter son opinion :

Ce pavement permet de tracer des éléments géométriques remarquables qui, à l’époque, n’étaient pas connus par leur expression mathématique, mais dont les propriétés étaient empiriquement bien connues des bâtisseurs. 


Ainsi, par exemple, quelques valeurs simples :          

 

Ceci peut se retrouver gravé dans la pierre, comme ici :


On a vu, dans un travail précédent la manière de tracer, sur une matrice en quadrature, les trois arcs (doubleau, diagonal et formeret), éléments constitutifs d’une voûte barlongue. Ceci montre que cet opérateur géométrique peut être utilisé pour tracer des plans sur une planche à tracer, aussi  bien que pour le traçage au sol sur un pavement en carré. 


Sur un arc diagonal de  5, l'arc doubleau a une ouverture de 4 et l’arc formeret de 3.

Dans les « Carnets » de Villard de Honnecourt (XIIIe siècle), on trouve un tracé en quadrature, sur une « planche à tracer » :

Vesci une glize desquarie …» : Voici une église d’équerre

Mais ce pavement ou matrice permet de tracer des figures plus complexes. Ici, une marque de tailleur de pierre sur une « matrice  en quadrature. »  

Marque de tailleur de pierre  de la Bauhütte de Strasbourg d’après Franz von Ržiha :

« Studien über Steinmetz-Zeichen “ Wien 1883.[11]


Les marques des tailleurs de pierre appartenant à la Bauhütte, compagnie de maçons allemands, dont le siège était à Strasbourg, sont tracées sur des figures de base (Grundfiguren) parfois traduites par « réseaux fondamentaux » (der rechten Grunde der Steinmetzen) dont la matrice en quadrature (Ad quadratum) n’est qu’un exemple. Il existe également une matrice ad triangulum et une autre dite Dreipasse ou matrice trilobée. Une dernière matrice se nommait Vierpasse ou matrice quatre-feuilles :


Matrice quatrefeuilles de la Bauhütte de Vienne

Cette matrice quatre-feuilles est intéressante car elle permet le tracé d’une figure bien connue :

S.Burckle[12] a montré la relation existant entre cette figure et la « vesica piscis » opérateur géométrique remarquable aux propriétés multiples :  

Vesica piscis et Mandorle

Quelques propriétés géométriques de la vesica piscis. In Burckle op. cit.

La signification de ce « point dans un cercle »  et de la Vesica piscis en Maçonnerie est longuement discutée dans l’ouvrage du Révérend G. Oliver : « The discrepancies of freemasonry » [13, p. 100] que l’on consultera avec profit.

L’aire commune aux deux cercles sécants constitue une « mandorle » ou amande, dont la symbolique fait référence au passage entre deux états et à  la connaissance cachée. 


Sceau de la Grande Loge de  Strasbourg, (Haupthütte) 1528

Ainsi le sceau de la Bauhütte est-il inscrit dans une mandorle. A titre de curiosité, on notera que c’est dans les statuts de la Bauhütte que l’on trouve le célèbre « Quatrain de bâtisseurs », dont nous donnons ci-dessous la forme  originale :

Un point qui va dans le cercle
Et qui se tient dans le carré et le triangle
Connais-tu le point, ? Alors tout est bien
Ne le connais-tu pas ? Alors tout est vain...

Un lien entre la Bauhütte et la Franc-maçonnerie spéculative, n’est pas inenvisageable. Ceci pourrait avoir eu lieu par l’intermédiaire des loges opératives écossaises à la fin du XVIe siècle, où, ainsi que l’a montré l’historien David Stevenson, a pris naissance la transformation spéculative [14]. A cette époque l’Écosse et le Saint Empire germanique entretenaient des relations étroites et rien n’interdit de penser que William Shaw, l’auteur des Statuts des loges écossaises (1598-1599), pourrait avoir eu connaissance des Statuts de la Bauhütte, imprimés en 1568   [16] : Notons encore que si rien d’équivalent au Steinmetzgründ n’a été formellement transmis à la Franc-maçonnerie spéculative, il est néanmoins troublant de constater que quelque chose de parfaitement similaire était cependant connu en Grande-Bretagne, ainsi qu’en atteste une collection de dessins de géométrie et d’architecture des XVIe et XVIIe siècles récemment découverte, et réunie, à l’époque, par John Byrom (1692-1763) Franc-maçon spéculatif et membre de la Royal society où il de lia d’amitié avec I. Newton.

Plan du théâtre du Globe à Londres sur une matrice octogonale - Collection Byrom

L’abbé P. Grandidier (1732-1787), lui-même Franc-maçon, auteur d’ « Essais historiques et topographiques sur l’église cathédrale de Strasbourg » de 1782 [15], ayant eu communication d’archives de la cathédrale, hélas disparues depuis, soutient, dans cet ouvrage la thèse selon laquelle la Bauhütte serait à l’origine d’un transfert de connaissance vers la maçonnerie spéculative, par l’intermédiaire des loges opératives. 
Ces théories sont développées dans un article de J.L. Mathonière « L’ancien compagnonnage germanique des tailleurs de pierre » [16] auquel nous renvoyons.

Dernier élément à verser au dossier : nous avons vu que les tracés de base de la Bauhütte  se nommaient « Grundfiguren ». Or dans « A mason’s confession » de 1727 qui est le catéchisme d’une Loge opérative d’Écosse, on trouve les mots suivants : 

Soit : « Pour le maître-maçon pour dessiner ses plans au sol dessus ».

On conviendra que Grundfiguren et ground-draughts sont, phonétiquement, voisins et signifient dans leurs langues respectives, strictement la même chose (ground-grund= base, raison et figuren-draughts=dessins). 

Par ailleurs, dans l’incipit du catéchisme de William Preston, on trouve :

Q : What is the Ground plan of Free masony ?
R : Instruction.
Soit : 
Q : Quel est le dessein de la franc-maçonnerie ? 
R : L’instruction.

Il est permis de  se demander si c’est là le fruit du hasard ou la trace d’une transmission.

 

8 - Miscellanées

 Ces considérations nous ont éloignés quelque peu du pavement en mosaïque, objet de ce travail. Pour conclure celles-ci sur une note plus légère, présentons ici trois illustrations en rapport avec le « pavement en carreaux». 

- Le rythme modulaires du Temple du Roi Salomon.

Dans un compte-rendu à l’Académie [17], M.  Dieulafoy confirme les travaux antérieurs de G. Perrot [18] sur la graticulation du Temple, travaux qui ont montré que ce dernier, les parvis et les différentes enceintes sont tracés sur un carroyage en damier de 10 coudées de côté. On se souvient que c’est le plan du Temple qui est dessiné sur la « planche à tracer » figurant sur la « planche tracée » du premier degré, selon la méthode ci-dessous :

NB : La graticulation est un procédé graphique qui permet le report géométrique de plans ou de dessins par l’emploi d’un quadrillage ou carroyage.

- Le MS Dumfries (circa 1710) présente le « Blason  de la Franc-maçonnerie » : 3 figures ( ?) quadrillées, (tessellated ?).

- Enfin, on aura sans doute remarqué que le fameux « alphabet maçonnique » est, lui aussi, tracé sur une « matrice en quadrature ».


9 - Conclusions

L’étude du pavement en mosaïque  nous a fait parcourir beaucoup de chemin, dans les différentes parties du rituel Émulation et, ce faisant, bousculer beaucoup d’idées reçues. On risque ainsi de surprendre, sinon de soulever quelque objection.
 
On rappellera cependant que :

- Il n’est dit nulle part dans la Bible, que le sol du Temple du Roi Salomon fut un « pavement en mosaïque » (Mosaïc pavement) ou un « pavement en carré » (Square pavement).
- Il n’est nullement dit, dans le rituel Émulation, que le « pavé mosaïque » constituât le sol du Temple du Roi Salomon, seul un « pavement en carré » y est décrit comme constituant le sol du Saint des Saints. Le pavement en mosaïque ne constitue que le sol d’une loge de Franc-maçons.
- Les traductions en français du rituel Émulation, sont, au mieux, imparfaites sinon souvent erronées. 


"It's raining cats and dogs " soit.... Il pleut des cordes !

La traduction des textes maçonniques, soulève, comme toute traduction, quelques difficultés dont certaines ont trait au vocabulaire utilisé (signifiant), d’autres au contenu (signifié), d’autres enfin à la bonne compréhension des éléments symboliques présentés. De nombreux exemples peuvent donc être trouvés, dans les traductions des rituels en français, d’erreurs lexicales, mais aussi de mauvaises formulations, sans oublier les omissions et, pire, les ajouts, qui ont tant circulés qu’ils en sont devenus intouchables malgré la perte de sens qu’ils ont entrainés [2].

Un deuxième défaut affecte les traductions maçonniques : à côté du mot à mot parfois incompréhensible, on a tenté de faire des textes français des modèles d’éloquence, à la syntaxe policée et au vocabulaire « noble. » On aboutit ainsi, parfois, à des phrases ampoulées ou ronflantes, vide de sens, ou, pire constituant des contresens manifestes, mais qui confèrent au texte une « dignité » que ne possédait sans doute pas le texte original plus concis et  plus précis. Et pourtant….

Loin de nous l’idée de convaincre, tant ces erreurs sont ancrées dans les esprits et aussi les certitudes que donnent des rituels mal traduits, certes, mais si souvent et depuis si longtemps répétés. Cependant les quelques corrections que nous avons proposées peuvent, si l’on veut, servir de base pour les esprits curieux, à une nouvelle réflexion sur ce que le rituel Émulation contient réellement.


Tableau de Loge du 1er grade

 

Avec l'aimable autorisation du W.B. Patrick C. BUFFE, Meridian 4106-UGLE, London, UK.


Bibliographie :

1- Knoop D. Jones J.P. Hamer D.: Early masonic catechisms. H. Carr édit .pour A.Q.C. 1975.
2-Langlet P. : Les deux colonnes de la Franc-Maçonnerie : La pierre et le sable. Thèse de doctorat ès lettres, p. 141 et suiv. 
3- Jones B.E.  :Freemasons guide and compendium. Edité par Cumberland House Publishing (2006).
4- E.H.  Dring : The evolution and development of the tracing of lodge board. A.Q.C. 29, 1916 p.243-245.
5- Pasquier G. : Le manuscrit Wilkinson,(c.1727).
6-Langlet P. : Les textes fondateurs de la franc-maçonnerie. Dervy 2006.
7- Dialog between Simon and Philips. Le « Dialogue entre Simon et Philippe» est un manuscrit contenu dans le même document que The Whole Institution of Masonry, 1724.Voir [1]
8-Jackson A.C.F.: Glossary of the Craft & Holy Arch Rituals of Freemasonry. Edited by Ian Allen Publishing (2008). 
9-Thomas J.: Tableaux de Loges & Gravures Maçonniques.Dervy-Livres.2005.
10-Mackey A.G.: Encyclopedia of freemasonry and its kindred sciences. (article “mosaïc pavement”).
11-Von Rziha F. : Studien über Steinmetzzeichen. (Études sur les marques des tailleurs de pierre). Wien 1883. (Reprint: Berlin 1989).
12-Burckle S. : Euclid, the point within a circle, the vesica piscis and divineproportion. Pietre-Stones
13-Oliver G. : The discrepancies of freemasonry.
14-Stevenson D. : The Origins of Freemasonry: Scotland's Century, 1590-1710-Cambridge university press. 20 septembre 1990.
15-Grandidier, P. A.: Essais historiques et topographiques sur l'église cathédrale de Strasbourg;  1782 ;Universitätsbibliothek Heidelberg. 
digi.ub.uni-heidelberg.de › diglit › grandidier1782bd1
16-Mathonière J.M. : Le plus noble et le plus juste fondement de la taille de la pierre. 
17-  Dieulafoy M. : Le rythme modulaire du Temple de Salomon. Comptes rendus des séances de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres .Année 1913 ; 57- ; 5 pp. 332-347.
18- Perrot G. ; Chipiez C. : Histoire de l’art dans l’antiquité. 
Hachette ; Paris ; 1887.