Rudyard Kipling
27 Décembre 2023

The solemn obligation, l'obligation solennelle

Un article proposé par le frère Patrick Buffe de Meridian 4106, Londres.


L’ensemble des « Instructions Emulation » rédigées par d’éminents membres du comité de l’Emulation Lodge of improvement souligne le caractère solennel que doit revêtir une cérémonie d’initiation, afin de laisser, de cette cérémonie, une impression inoubliable au candidat qui l’a subie.
 
Nul doute que le moment le plus impressionnant de cette cérémonie, autant pour le candidat que pour les membres de la Loge soit celui de   « l’obligation solennelle » objet de cette étude.
 
1 - Historique
 
L’apparition du serment est probablement contemporaine de celle de la structuration sociale autour de la notion de puissance divine. Cette dernière, omnisciente et omniprésente garantissait par la crainte de sa puissance afflictive, l’exécution de ce qui n’était, jusque là qu’un engagement sans conséquence.
 
Sans remonter jusqu’à l’aube des civilisations, on trouve déjà en Égypte pharaonique l'existence d'un serment judiciaire bien documenté : les juges et les  témoins sont liés à leur devoir de conscience et aux exigences de la justice par un serment connu sous le nom de : « Vie du Seigneur royal ». Il faut entendre par là que l’on jurait sur la vie du Pharaon, en sa qualité de divinité  personnelle et de représentant des Dieux sur terre. Le jurant plaçait sa tête sous le bâton du  magistrat en frappant successivement  sa tête, son nez et ses oreilles signifiant par là qu’il remettait, en cas de parjure, sa tête au Pharaon ou, par une sentence moindre, acceptait, par avance, la section de son nez et  de ses oreilles.
 
Le serment apparaît comme une pratique courante dans la vie des Grecs de l’antiquité, que ce soit lors de la conclusion d’un traité engageant la cité toute entière,  ou pour légaliser un accord privé.  Il y a, à cela, cela une double raison : d’une part le souci associer les Dieux à tous les actes de la vie publique ou privée, mais aussi celle liée au fait que dans le monde grec de l’époque classique, la civilisation reste encore une civilisation de l’oralité.
 
Le serment acquiert ainsi dès,  le Vème siècle av. J.C. la forme classique que l’on lui connaît encore, et sur laquelle nous reviendrons, qui fait succéder, dans un ordre immuable : invocation, engagement et imprécation. Parmi les nombreux textes qui nous sont parvenus, le serment d’Hippocrate « Όρκος του Ιπποκράτη » (IVème siècle av. JC)    est encore usité de nos jours dans sa forme originale.
 
Chez les Romains, peuple aussi religieux que superstitieux, le serment se pratique sous la forme héritée de la Grèce antique. On notera un fait curieux : qu’il soit judiciaire ou privé le serment se faisait en se tenant les testicules dans la main droite. Le vocabulaire a conservé la trace de ce singulier usage, testis voulant dire témoin, un testicule est un petit témoin.
 
En sautant quelques siècles, la première mention d’un serment maçonnique (oath) apparaît dans le manuscrit Regius (1390). On y trouve en effet la mention suivante :
 
To be true to the ordinances
A good true oath must there swear
To the Masters and Fellows that be there
And all these points herein before
To them thou must needs be swore
And all shall swear the same oath
Of the Masons, be they swilling or loath
Amen, Amen, so mote hyt be…
 
Le Ms Grand Lodge N°2 (env. 1650) contient la première mention de secrets maçonniques associés à un serment : » …in the presence of the almighty God and my Felllows.. and Bretheren here presents, promise and declare…..discover or reveal or make known any of the secrets, privileges or counsel of the Fraternity.. » [1]. “Any of” indique bien qu’il y a plusieurs secrets. Ceci peut amener à reconsidérer une idée répandue que c’est dans le Manuscrit Graham (1726) que l’on trouve la première mention des secrets maçonniques (signes et mots  associés et non mot du Maçon seulement) liés au serment. Ceci est étayé par l’étude du MS Harleian N°2054 (env.1665), dont voici le fac simile du texte original :
 
MS Harleian N°2054 (env.1665)
 
Transcription dans AQC vol.III MDCCCXCI :
 
« There is a seurall words and signs of a free Mason to be revealed to yu what as you will answer : before God at the Great!terrible day of Judgement yu keep secret § not to revaile the same in the hears of any person but to the Masters and fellows of the said society of free Masons ; So help me God ! »
 
Le texte du Graham (1726) indique seulement dans un dialogue catéchistique : « How came you into the Lodge -réponse- : «  poor and penyless blind and Ignorant of our secrets »  et plus loin : “ what were you sworn to ? –réponse- : « for to hale and conceall our secrets » De manière marginale à notre propos, ces éléments invalident la notion du passage du serment du mot de Maçon (MS Edinburgh register house 1696, Chetwode-Crawley 1700 et Kewan 1714 p.ex.) au serment de la Maçonnerie spéculative aux alentours de la fondation de la première grande Loge de Londres et Westminster en 1717 , Celui-ci, dans les textes connus, a eu lieu bien plus tôt que cela….
 
Le MS Harris (fin du XVIIe siècle) précise, lui, qu’à la fin du serment le “livre” doit être embrassé (kist) ; Il s’agit bien sûr, ici, de la Bible qui est nommément indiquée dans le manuscrit Colne de 1685. Le MS Wilkinson ( 1727) donne, enfin, un texte proche de celui que nous connaissons :
 
« Je promets solennellement, et déclare en présence du Dieu tout puissant, de celer et de cacher tous les secrets et mystères du Maçon et de la Maçonnerie qui m’ont été révélés jusqu’ici, vont l’être maintenant, ou le seront plus tard ; de ne les dire ou révéler à personne sauf à un Frère ou à un Compagnon après reconnaissance formelle ; de ne pas les écrire, sculpter, marquer, représenter ou graver sur tout support mobile ou immobiles sous peine d’avoir la gorge tranchée, ma langue arrachée du fond de la bouche, le cœur arraché du sein gauche et enseveli dans les sables de la mer, à une encablure du rivage, là où la marée descend et monte deux fois en vingt-quatre heures, mon corps devant être réduit en cendres, et les cendres dispersées à la surface de la terre, de sorte qu’il n’y ait plus souvenance de moi. Que Dieu me vienne en aide. Il baise la Bible. »
 
Au début du XIXe siècle la Maçonnerie anglo-saxonne fut confrontée au problème de l’initiation de candidats appartenant à des confessions religieuses qui prohibaient le serment. Certaines communautés religieuses, s’appuyant sur une prescription néotestamentaire refusent, en effet, de prêter serment. Il en va ainsi des Anabaptistes, des Quakers et des témoins de Jehova, par exemple. Les fidèles de ces groupes justifient leur attitude par l’interprétation littérale d’un passage de l’Evangile selon Mathieu : (Mt 5,33-37)».
 
«  Tu ne te parjureras point, mais tu tiendras au Seigneur tes serments. Et moi je vous dis de ne jurer en aucune façon; ni par le ciel, parce que c'est le trône de Dieu; ni par la terre, parce qu'elle est l'escabeau de ses pieds; ni par tout autre objet; ni par ta tête, parce que tu ne peux pas rendre un seul de tes cheveux blanc ou noir. Que votre langage soit: Oui, oui; non, non; car, ce qui est en plus vient du mal ».
 
Grâce aux ressources de la casuistique, l’Eglise catholique a une interprétation différente de ce passage. Selon le catéchisme officiel de celle-ci [2]: « A la suite de St. Paul (cf. 2 Co 1, 23 ; Ga 1, 20), la tradition de l’Église a compris la parole de Jésus comme ne s’opposant pas au serment lorsqu’il est fait pour une cause grave et juste (par exemple devant le tribunal). Le serment, c’est-à-dire l’énonciation du Nom divin comme témoin de la vérité, ne peut être porté qu’en vérité, avec discernement et selon la justice. »
 
L’argumentaire de cette position, fortement résumé, est le suivant :
 
- L’Ancien testament nous dit que Dieu, lui-même, a prêté serment. Dans Épitre aux Hébreux 6.13, » Lorsque Dieu fit la promesse à Abraham, ne pouvant jurer par un plus grand que lui, il jura par lui-même ». Ainsi, même Dieu pouvait prononcer un serment quand il faisait une promesse. Un rapide survol de l’Ancien Testament  fait voir que plusieurs hommes de Dieu ont juré en toute légitimité. Abraham, Jacob, Néhémie, Élisée, pour n’en nommer que quelques-uns, tous ces hommes ont prononcé un serment à un moment donné dans leur vie. Ailleurs dans Exode 22.9-10, on lit cette loi sur les dommages : Exode 22.9.
 
« Lorsqu’un homme donnera à garder à son prochain un âne, un bœuf, un agneau ou une bête quelconque qui meure, se casse un membre ou soit enlevé, sans que personne l’ait vu, alors le serment (au nom) de l’Éternel interviendra entre les deux parties, qu’il n’a pas porté sur le bien de son prochain ».
 
- Les Apôtres, eux-mêmes ont juré, malgré l’apparente interdiction de Jésus relatée par Thomas. Ainsi Paul dans sa  2ème épitre aux Corinthiens, 1-23 : « Pour moi, j'en prends Dieu à témoin sur mon âme, c'est par ménagement pour vous que je ne suis plus venu à Corinthe. ». Compte tenu de ces réserves, les obédiences anglo-saxonnes ont un avis partagé. Au Royaume-Uni on a initié  tout de même des candidats appartenant à des confessions qui refusent de jurer en leur faisant prononcer une « solemn affirmation » dans laquelle le passage «.. I swear and promise… » est supprimé et remplacé par un simple énoncé. Aux Etats-Unis cette pratique est formellement prohibée. 
 
Ce problème du serment et de la religion pourra être étudié plus en détail dans cet article d'Entretiens Chretiens : "Ne Jurez pas" 
 
2 - Les formes de l’engagement
 
En dépit des apparences le serment n’est pas une institution définie par sa fin et son efficacité propre. C’est une modalité particulière d’assertion qui appuie, garantit ou démontre, mais qui ne fonde rien. C’est en vérité un rite oral, souvent complété par un rite manuel de forme variable.
Selon le cas on peut distinguer, parmi les différentes formes d’engagement :
 
2-1 - La promesse
 
C’est un engagement verbal ou écrit à faire quelque chose. Sa réalisation est non obligatoire et il ne lie que par la bonne volonté et/ou le sens moral.
 
2-2 Le  voeu
 
Selon Littré :
 
- Voeu simple : c’est une promesse faite à Dieu, ou à ses Saints, par laquelle on s’engage à quelque œuvre non obligée, que l’on croit lui être agréable, et qui n’est pas un précepte de la doxa.
- Voeu solennel : vœu fait en face de l'Église avec les formalités requises par les canons. Tels sont les vœux ecclésiastiques qui peuvent être temporaires (dits simples) ou perpétuels (dits alors solennels).
 
2-3 Le serment
 
Ce mot vient du latin sacramentum, (serment), lui même de sacrare, (rendre sacré), qui donnera successivement sagrament  (842, Serment de Strasbourg) ; puis au XIIe siècle : sairement, et serement  (1415, Charles d'Orléans) et enfin serment.       
Le serment est donc, stricto sensu, une affirmation ou une promesse faite en prenant Dieu à témoin, ou ce que l'on regarde comme saint, comme divin (E. Littré).
 
Originellement prononcé dans un cadre religieux, la forme d’engagement appelée serment s’est étendue ensuite au domaine civil, en particulier judiciaire. Dans ce dernier cadre on relève plusieurs formes de serment. On distingue ainsi les serments probatoires, supplétoires, décisoires, affirmatifs et enfin promissoires. Le serment maçonnique ressortit de cette dernière catégorie. En effet le serment affirmatoire affirme un fait passé alors que le serment promissoire est celui par lequel on s’engage pour un geste futur. Le serment promissoire est donc un engagement solennel, donné selon des formes précises, de remplir au mieux ses devoirs.
 
2-4 L’obligation
 
Du latin obligatio (sens identique), dérivé de obligo ( obliger) de ligo (lier ) avec le préfixe ob- (à cause de).
L’obligation est, à l’origine, un terme de droit qui, contrairement au serment, n’avait aucune connotation religieuse.
 
Il s’agit ici d’un lien de  droit qui astreint une personne envers une autre à donner, à faire ou à ne pas faire quelque chose.. On trouve dans E.Littré : « Le terme d'obligation a deux significations : dans une signification étendue, lato sensu, il est synonyme au terme de devoir, et il comprend les obligations imparfaites, aussi bien que les obligations parfaites ; on appelle obligations imparfaites les obligations dont nous ne sommes comptables qu'à Dieu, et qui ne donnent aucun droit à personne d'en exiger l'accomplissement : tels sont les devoirs de charité, de reconnaissance.... le terme d'obligation dans un sens plus propre et moins étendu ne comprend que les obligations parfaites, qu'on appelle aussi engagements personnels, qui donnent à celui envers qui nous les avons contractés le droit d'en exiger de nous l'accomplissement…l'obligation naturelle est aussi, quoique dans un sens moins propre, une obligation parfaite, car elle donne, sinon dans le for extérieur, au moins dans le for de la conscience, à celui envers qui elle est contractée, le droit d'en exiger l'accomplissement ; au lieu que l'obligation imparfaite ne donne pas ce droit. [Pothier, Traité des obligations, 1re partie.] ».
 
On voit donc que l’obligation de l’Apprenti tient à la fois de l’obligation parfaite et de l’imparfaite puisqu’elle engage devant Dieu mais aussi vis à vis des frères de la Loge.
 
Que penser, enfin, du qualificatif « solennel » accolé au terme d’obligation ?
 
Solennel est, selon Littré :
 
- Ce qui est fêté chaque année. Emprunté au latin classique sollemnis (ordinaire habituel et qui revient tous les ans) écrit à basse époque solemnis, venant de solus (entier) et annus (année). Par extension, en français : solennel, consacré.
- Est solennel ce qui est pompeux, accompagné de cérémonies, mais c’est aussi une : action authentique, accompagnée des formalités requises. Une déclaration solennelle, un arrêt rendu en forme solennelle. Terme de jurisprudence : contrat solennel, contrat soumis à certaines formes dont l'omission emporte nullité. 
 
 3 - De l’appellation du serment maçonnique
 
L’étude de vieux manuscrits (Old charges, Ms. en abrégé) montre qu’à l’origine c’est le mot « oath » qui était utilisé et non celui d’obligation (obligation) [1] et [3]. Ce dernier mot est d’apparition tardive dans les documents maçonniques : Ms Wilkinson (1727) et Masonry dissected de Prichard (1730).
 
Les auteurs anglais insistent sur la différence qu’il y a entre « oath » (traduit par « serment » : An oath is a formal promise, selon Collins dic.) et « obligation » qui inclut la notion de lien (ob-ligare) entre une ou plusieurs personnes ( binding or tying).
 
On peut présumer que le choix de l’expression « solemn obligation » à la place du simple « oath » ait été fait pour accoler une notion juridique (obligation) à une dimension consacrée (solemn) incluant également une notion contractuelle (le lien). Les subtilités du vocabulaire français sont plus complexes. Certes, « obligation solennelle » est la traduction littérale de la formule anglaise, elle-même dérivant directement des mots français correspondants. Mais nous avons vu que le mot « serment » inclut, par définition, toutes les notions sous-entendues par l’expression anglaise. En français « obligation solennelle » est un quasi-pléonasme qui ne mérite aucun attachement fétichiste, l’ancien mot « oath » (serment) tout court eut été, sans doute, préférable.
 
Pour conclure, il est à noter que le vocabulaire anglais est aussi riche que le français en termes décrivant un engagement, ainsi : vow, oath, pledge, promise et bien sûr obligation.
 
4 - La forme du serment
 
Nous l’avons vu, il s’agit ici d’un serment promissoire. Le modèle achevé de celui-ci est le modèle grec antique. Ce serment est constitué, invariablement de trois parties qui se succèdent dans un ordre immuable : L’invocation divine, l’affirmation de ce à quoi on s’engage, et enfin l’imprécation ou énumération des sanctions en cas de parjure.
 
Le serment d’Hippocrate (IVe siècle av. J.C.) est encore en usage de nos jours et l’on peut comparer sa composition à celle de  l‘obligation d’apprenti qui revêt strictement la même forme :
 
 
Obligation de l’Apprenti entré Serment d’Hippocrate
- Invocation :
Moi, en présence du GADLU
et de cette digne et respectable
Loge.. je promets et jure.

Je jure par Apollon
médecin, par Asclépios,
par Hygie et Panacée, par
les dieux et toutes les
déesses, les prenant à témoin
que je remplirai, suivant mes
forces et ma capacité le
serment et l’engagement  
suivants : …
- Engagement :
Que toujours je tairai, cacherai 
et jamais ne révèlerai…


Je ferai part de mes préceptes
des leçons orales et du
reste  de l’enseignement
à mes fils, à ceux de mon
maître et aux disciples liés
par un serment suivant la loi
médicale mais à nul autre…
Quoi que je voie ou entende
dans la société, pendant ou
même hors de l’exercice de
ma profession, je tairai ce qui
n’a jamais besoin d’être
divulgué, regardant la
discrétion comme un devoir.
 
- Imprécation :
..sous peine si j’en viole aucun.. 


Si je remplis ce serment sans 
l'enfreindre, qu'il me soit
donné de jouir heureusement
de  la vie et de ma profession,
honoré à jamais parmi les
hommes ; Si je le viole et
 que je me parjure, puissé-je
avoir un sort contraire !

 
 
5- Etude  de l’Obligation solennelle
 
5-1- Invocation :
 
Ici les traducteurs et commentateurs ont commis quelques erreurs et inventions. Que l’on en juge :
 
« In the presence of the GAOTU, and this worthy, worshipful, and warranted Lodge of Free and Accepted Masons, regularly assembled and properly dedicated ... »
 
On peut déjà noter que la Loge ne possède que cinq qualificatifs en Anglais alors qu’un sixième s’est ajouté dans certaines versions Françaises. En outre ces qualificatifs ne sont pas correctement traduits, sans compter celui qui est en supplément (dédiée et dûment consacrée au lieu de «properly dedicated » tout court ce qui en anglais se traduit indifféremment par convenablement dédié ou consacré).
 
Il faut lire en fait :
 
 « En présence du GADLU et de cette digne, vénérable et légitime Loge de Maçons Francs et Acceptés, régulièrement assemblée et convenablement consacrée. ».
 
On notera que le mot « warranted » signifie que la loge possède une patente (warrant) donc qu’elle est légitime.
 
Le texte original dit : «régulièrement assemblée » et non : « régulièrement constituée », cette dernière notion est contenue dans le mot « assembled ».
 
On peut noter, à ce propos, la confusion des traducteurs sur des termes répétitifs qui émaillent cette obligation. Cette manière, répétitive, de rédiger un texte procède de deux raisons essentielles. L’une tient aux contraintes de la foi calviniste interdisant l’utilisation d’images graphiques à des fins d’herméneutique biblique, les rédacteurs des catéchismes ont donc eu recours à des images verbales comme les métaphores et les allégories pour servir de support à la description symbolique de l’art royal. Ainsi s’explique sans doute, en partie, la forme curieuse des textes de notre rituel où foisonnent les redites, les redondances et les tautologies, sans doute destinées à bien fixer les idées dans l’esprit des locuteurs.
 
L’autre raison est la persistance, au sein de ces textes, de la juxtaposition de termes d’origine saxonne à ceux d’origine normande. Il en va ainsi, par exemple, de : free will/accord, swear/promise, trial/examination etc.. 
 
5-2- Engagement :
 
« Je promets en outre que je n’écrirai point ces secrets, ne les burinerai, sculpterai .. etc. »
 
« That I will not write those secrets, indite, carve ... ». Indite ne veut absolument pas dire : « buriner ». Ainsi que dit dans Jackson [3] c’est un mot de vieil anglais qui veut dire : écrire, rédiger, raconter. Ce mot vient du latin in-dicere, (dire dans). Donc remplacer ce texte erroné par:  « je n’écrirai point ces secrets ni ne les raconterai, sculpterai etc.. ».
 
D’ailleurs, on l’a vu lors de l’étude des outils des tailleurs de pierre, ces derniers n’utilisent pas des « burins », mais des ciseaux,  des chasses, voire des gouges ou des gradines..
 
5-3 L’imprécation :
 
- Le jurement :
 
« ..ces différents points je jure solennellement de les observer sans faux-fuyant, équivoque ou restriction mentale.. ». Voici  une phrase bien curieuse, pourtant correctement traduite de l’anglais : «..  these several points, I solemnly swear to observe, without evasion, equivocation or  mental reservation of any kind.. »
 
Cette formulation n’est pas due au hasard. On la trouve pour la première fois dans la « Protestant Declaration or Oath » de 1678. Ces mots figurent, aujourd’hui encore, dans la déclaration faite par le souverain d’Angleterre avant son serment de couronnement : « And I do solemnly, in the presence of God…..without evasion, equivocation or mental reservation whatsoever… ».
 
  • La restriction mentale est une façon de tromper les gens sans être dans le mensonge pur. Cette doctrine est une branche spéciale de la casuistique qui s'est développée à la fin du Moyen- Âge et à la Renaissance ; on l'associe le plus souvent aux Jésuites. Au sens le plus strict du mot, celui qui parle modifie dans sa tête la signification des mots qu'il prononce, si bien que ces mots, grâce à cette signification nouvelle, constituent une affirmation exacte et qui correspond à la réalité. La doctrine de la mentalis restrictio se composait, dans sa description originale, de vérités exprimées partiellement dans le discours et partiellement dans l'esprit et se fondait sur l'idée que Dieu entend ce qui est dans l'esprit de chacun alors que les êtres humains n'entendent que ce qui est prononcé. Par conséquent le devoir moral du chrétien était de dire la vérité à Dieu. Cacher un peu de cette vérité aux oreilles d'auditeurs humains était moral si on le faisait pour servir un plus grand bien. Celui qui se servait de cette doctrine pouvait répondre à haute voix : « je ne sais pas » à un interlocuteur humain et ajouter en silence « je vous le dis » à Dieu ; Par là il disait toujours la vérité (stricte mentalis.)
 
  • Un faux-fuyant, (de l’ancien français fors, dehors, et fuyant, de fuir, avec l'influence de faux) est un moyen détourné de se tirer d'embarras ou d'éluder une question.
  • Enfin l’équivoque, (du latin aequivocus, de aequus : égal, semblable, et vox : voix, parole), est l’expression d’une pensée à double sens, susceptible d’une double interprétation.
 
- Les pénalités :
 
La Maçonnerie Anglo-saxonne a supprimé la description des pénalités dans l’obligation et les détaille, de manière indicative, au moment de la révélation des lumières secondaires ainsi que dans les «  Lectures » et seulement de manière cachée dans les textes publiés.
 
 Le texte français habituel est :
 
« …sous peine si j’en viole aucun d’avoir la gorge tranchée, la langue arrachée, jetée à la mer, à une encablure du rivage, là où le flux et le reflux se font sentir deux fois par vingt quatre heures,...etc. ».
 
Ce texte est fautif, empli d’oublis et d’erreurs.
 
Le texte anglais est le suivant :
 
« The full penality was that of having the t.c.a. , the t.t.o.b.t.r. (singular) and b.i.t.s.  ( singular ) o.t.s. at l.w.m., or a.c’s.l.f.t.s., where t.t.r..e.a.f.t.i. 24 hs ».
 
 En l’absence d’une traduction accessible on peut translittérer ce texte ainsi :
 
 « The full penalty was that of having the throat cut across, the tongue torn off by the root  (singular) and buried in the sand (singular) of the sea, at low water mark, or a cable’s length from the shore, where the tide regularly ebbs and flows twice in 24 hours ».
 
Ainsi la vraie traduction donnerait à peu près ceci :
 
 « La pénalité complète était d’avoir la gorge tranchée, la langue arrachée à la racine (au singulier) et enfouie dans le sable (singulier) de la mer, à la  la laisse de basse mer, ou à une encablure du rivage, là ou la marée produit régulièrement le jusant et le flot, deux fois par 24 heures ».
 
 On observe donc quelques altérations dans le rituel Français par rapport au texte Anglais de référence:
 
- La langue arrachée à la racine,     
- Enfouie dans le sable de la mer et non jetée à la mer.
- A la laisse de basse mer, disparue.
- La marée qui n’existe plus.
- jusant et flot remplacés par flux et reflux (avec une inversion).
 
- La langue arrachée à la racine.
 
Notre frère Philippe MRN de la Rudyard Kipling Lodge a bien détaillé ce point dans un remarquable article "Les chatiments maçonniques" , auquel nous renvoyons le lecteur, nous en reprendrons les grandes lignes ci-dessous :  
 
Qu’il soit simplement dit que l’on ne peut arracher la racine de la langue en passant par la bouche, mais qu’il faut ouvrir largement le cou (presque d’une oreille à l’autre) pour pouvoir arracher cette racine. Il a déjà été souligné à plusieurs reprises combien le symbolisme de la langue est important en maçonnerie et combien il a été occulté dans la traduction du rituel Anglais.
 
La langue de la « bonne renommée» ainsi dite est à n’en pas douter le symbole de la parole c’est à dire du Logos ou du verbe créateur qui représente la parcelle divine qui gît en chacun d’entre nous (on retrouve cette notion typiquement gnostique dans l’exhortation au bord de la tombe au troisième grade) dans la mesure où parmi les nombreux attributs de Dieu, c’est celui de créateur  qui est exalté dans nos rituels. Or Dieu crée au moyen de la parole et celle d’un Maçon doit se conformer à l’infini à celle de son Divin créateur et proclamer les règles qu’il a édictées pour créer et organiser le monde, contenues dans le V.L.S. Sa langue et donc sa parole ne peuvent être que justes et conformes aux lois de notre  créateur. S’il se montre infidèle à son obligation solennelle, cette langue doit être arrachée (et non coupée).
 
- « ..Enfouie dans le sable (singulier) de la mer, à la laisse de basse mer..» Voyons ce commentaire maritime. La langue « arrachée à la racine » est enfouie dans le sable où elle ne bouge plus. Pourquoi à la laisse de basse mer ? Parce qu’ainsi elle est enfouie à marée basse entre la laisse de haute mer et celle de basse mer dans cette portion de sable qui n’est ni la terre ni la mer et qui en Français s’appelle l’estran.
 
Ce sable entre terre et mer n’est sous aucune juridiction civile ou ecclésiastique, mais sous juridiction maritime. Le flux et le reflux de la marée recouvrent l’estran deux fois par 24 heures et effacent les traces de l’enfouissement.
 
Ainsi cette « langue de la bonne renommée » du maçon qui a trahi est non seulement enterrée en un lieu abandonné de Dieu et des hommes, mais nul ne pourra jamais la retrouver.
 
Une « encablure du rivage» est typique de la tautologie ou des redondances du rituel. Une encablure vaut 185 mètres (un dixième de nautique). «  A cable’s length », littéralement une longueur de câble peut se traduire par : une encablure. 
 
Mais d’où peut donc venir cette incursion maritime dans un domaine aussi terrien que celui de la maçonnerie ?
 
Dans « Old time punishments » de William Andrew (1891), parmi les curieuses ordonnances promulguées sous le règne d’Henri VI (1422-1471) pour la conduite de la cour de justice de l’Amirauté, on trouve l’ordonnance suivante :
 
« You masters of the quest, if you or any of you, discover or disclose anything of the King's secret couseul, or of you fellows (for the present you are admitted to be the King's counsellors) you are to be and shall be, had down to the lower-water mark, where must be made three times. O Yes! For the King and then and there this punischement, by the law prescripted, shall be executed upon them : that is their hands and feet bound, their throats cut, their tongues pulled out, and their bodies thrown into the sea. »
 
On comprend ici qu’en cas de trahison, le coupable sera descendu les pieds et poings liés à la laisse de basse mer, la gorge tranchée et la langue arrachée puis laissé durant trois marées avant que son corps ne soit jeté à la mer. Egalement, dans une minute de 1557 on relate que six pirates furent pendus à Wapping à la laisse de basse mer et laissés là afin que la marée recouvre trois fois leur corps. Enfin, dans :” A dialogue between Simon and Phillip” datant de 1730 on apprend que la pénalité infligée au Maçon qui trahirait son serment est de : « ..my tongue plucked from the roof of my mouth, my throat cut, my body to be torn to piece by wild horses (écartelé) to be bury’d in the sands of the sea where the tide flowes in 24 hours..[4]”. 
 
On voit donc ici que la pratique judiciaire maritime est passée dans le domaine maçonnique, mais la question demeure entière de savoir pourquoi.
 
- ..là ou la marée produit régulièrement le flot et le jusant deux fois par 24 heures.
 
On trouve dans A.C.F. Jackson [3] la mention suivante :
 
 
On trouve ici plusieurs commentaires intéressants. « Ebb and flow » signifient littéralement reflux et flux, mais ces mots sont utilisés, comme le dit Jackson, exclusivement pour la marée. En français les termes équivalents ne sont pas le reflux et le flux, mais le jusant (marée descendante) et le flot (marée montante). Cet auteur signale, en outre, que cette expression a évolué depuis sa première mention dans l’Edinburgh register house de 1696 pour devenir la formule que nous connaissons dans le Wilkinson de 1727. Ces deux mots anglais sont d’origine saxonne : ebbian (vider) et flowan (remplir).
 
5-4 L’envoi :
 
« Que Dieu m’aide et m’arme de constance… ». Cet envoi est, en fait, une partie qui devrait se placer au début de l’imprécation, mais qui se trouve, ici, rejetée à la fin. La solicitation finale de l’appui divin apparaît tôt dans le serment, ainsi en  1583 dans le Ms Grand Lodge N°1 : ’These charges that we have now rehearsed unto yu all and all others that belong to Masons, ye shall keepe, so healpe you God, and your hallydome, and by this booke in yor hande unto yr power. Amen, so be it. » On la retrouve  peu changée dans les MS suivants.  « ..so help me God. » dans Harleian de 1665 devient :  « Gold you help and hid holy Doome (sic)» dans le Ms Buchanan (1660). On trouve aussi : « Soe (sic) help you God and by the content of that book » dans le MS Sloane  N°3323 de 1659.et enfin : ”Soe helpe yu God § Holidome § by ye holy contents of this book” dans le Ms Watson William de 1687.
 
La phrase : « m’arme de constance » n’a pu être retrouvée par mes soins dans les nombreux Ms antérieurs à 1730 consultés, mais peut m’avoir échappé. Elle n’apparaît pas davantage dans la divulgation (Exposure) Masonry dissected de Prichard (1730):“….., so that there shall be no more Remembrance of me among Masons.  So help me God”, , mais surgit, enfin, dans Three distincst knots de 1760 : “ ..so help me God, and keep me steadfast, in this my enter'd Apprentice’s obligation”. On peut en inférer que cette apparition est du fait de la loge des Antients à laquelle cette divulgation est habituellement rattachée. (The word steadfast traces back to the Old English word stedefæst, a combination of stede, meaning "place," and fæst, meaning "firmly fixed”). Enfin, la formule finale complète est, en anglais : » So help me God, and keep me steadfast in this my Great and Solemn Obligation of an Entered prentice Freemason”. Ce qui donne en français : « Que Dieu m’aide et me garde ferme dans cette mienne grande et solennelle obligation d’apprenti entré Franc-Maçon ». On voit, ici, encore que l’on est assez loin du texte français et qu’il n’y a en tout cas pas d’ « arme de constance » mais de fermeté.
 
Pour conclure, revenons sur une notion bien connue : C’est à la fin du prononcé de son obligation solennelle et du dévoilement des trois lumières principales que le candidat passe de l’état de profane à celui de Maçon. Ceci est souligné par la phrase du Vénérable Maître : « Relevez-vous Frère nouvellement assermenté parmi les Maçons ». Ceci souligne encore, si besoin était, la place centrale de l’obligation, dans l’édifice Maçonnique car, en fin de compte, c’est l’obligation qui fait le Maçon. 
                                              
Avec l'aimable autorisation du W.B. Patrick C. BUFFE, Meridian 4106-UGLE, London, UK.
 
BIBLIOGRAPHIE :
 
[1] Freemason’s  guide and compendium. B.E. Jones; Éditeur Cumberland House, 2006
[2] Catéchisme de l’Église catholique. Libreria Vaticana 1994. 
[3] Glossary of the Craft & Holy Arch Rituals of Freemasonry - Jackson A.C.F.; Lewis masonic publisher. London.2008
[4] Le Dialogue entre  Simon and Philip est contenu dans le même manuscrit que ‘The Whole Institution of Masonry’ (1724).