Rudyard Kipling
11 Décembre 2006

Les origines de la Maçonnerie Ecossaise (3ème partie)

Les plus grands « chercheurs maçonniques » n’ont eu de cesse de nous le répéter durant des années: la Franc-Maçonnerie est véritablement née en 1717.

1717, était  la véritable charnière entre l’opératif et le spéculatif.

Et puis de nouvelles recherches ont commencé à faire sauter cette charnière.
Une bien petite charnière au demeurant.
Je voudrais rappeler ici un fait pour le moins surprenant à ceux d’entre vous qui n’auraient pas pu assister à notre récent travail sur la brasserie de l’Oie et du Gril (The Goose and Gridiron), le lieu mythique ou se tint la première Grande Loge de Londres en 1717.
Nous avons, en effet retrouvé un descriptif des plans du bâtiment de l’époque et appris avec étonnement que la plus grande salle de cette brasserie, au premier étage, mesurait seulement… 4,30 m par 6,5 m soit environ 28m2.
Voici un détail auquel on n’avait pas pensé et qui réduit tout de suite la portée de l’événement…

Stevenson a sans doute été le premier à mettre les pieds dans le plat en démontrant par de très nombreux documents (dont je m’étonne toujours qu’ils n’aient jamais été rendus publics auparavant alors que de nombreux érudits anglais connaissaient leur existence) qu’il y avait bien une vie maçonnique avant 1717, en Ecosse.

Stevenson va établir une nouvelle « charnière » : 1598/1599 (les Statuts Schaw) avec un nouveau héros réformateur-créateur de la maçonnerie : William Schaw.

Et si tout n’était pas aussi simple ?
Et si cette charnière devait, elle aussi, sauter ?

Il ne sera pas de notre propos de remettre en cause les fondements des travaux de Stevenson qui auront beaucoup apporté à notre Maçonnerie, mais pourtant de lever quelques zones d’ombres et de soulever certains éléments peu abordés et qui pourraient écrire une histoire assez différente de celle qui a cours aujourd’hui.

William Schaw de Sauchie

Et tout d’abord, qui était ce William Schaw ?

On peut s’étonner de voir cet « inconnu », sans titre, catholique de surcroît dans une écosse très réformée « souffler » le 21 décembre 1583 le poste envié de Maître des Travaux du Roi Jacques VI d’Ecosse au très noble Robert Drummond of Carnock déjà possesseur de ce titre et des ses privilèges.

Il faut dire que pendant longtemps nous n’avons su que peu de choses concernant ce personnage important de la Maçonnerie écossaise.
Les recherches de Stevenson, puis de quelques autres érudits nous ont apporté de nouveaux éléments. Nos propres recherches nous permettent de vous apporter aujourd’hui quelques nouveaux éléments, inédits pour la plupart, et qui n’ont, à ma connaissance, jamais encore été présentés.

William Schaw est né aux environs de 1550 (on ne connaît pas la date exacte).
Il n’est pas un « inconnu ».
Il appartient à une grande famille de propriétaires terriens (Lairds) les  Schaw (ou Shaw) of Sauchie.
Les terres de Sauchie se trouvent tout près du Château de Stirling, résidence royale (il y a moins de 14 km entre Sauchie et le Château de Stirling).

Le Château royal de Stirling

 

Cette famille influente se tient au sommet de l’échelle écossaise depuis des générations.
Elle a compté parmi ses membres de nombreux personnages de haut rang comme James Schaw de Sauchie and Greenock, Gouverneur du Château de Stirling qui construira la Tour de Sauchie aux environ de 1430 (Tour que l’on peut encore visiter aujourd’hui et ou William Schaw a sans doute été élevé), ou comme John Schaw of Sauchie « Comptroller of the Royal Household » de James III
Elle a aussi donné une concubine au roi James V, Elisabeth Shaw of Sauchie (née c.1512 à Sauchie). Celle-ci aura un enfant avec le roi : James Stuart (c1529-1557) qui deviendra Abbé de Kelso et Melrose.

Les parents de William sont très introduits à la cour, ils sont « Gardiens de la Cave à Vin du Roi » depuis plusieurs générations comme en témoignent sans doute les armes des Schaw : Azure, 3 Covered Cups Or (3 coupes couvertes d’or sur azur).

Les armes de la famille Schaw

On ne peut comprendre vraiment cette nomination « particulière » de William Schaw comme « Maître des Travaux du Roi » , le 21 décembre 1583, sans avoir recours à l’éclairage du contexte historique, lui aussi très particulier, des années 1580 et de la position du roi James VI à ce moment précis.

James VI et l’épisode de Ruthven

Procédons à un bref résumé historique.
Jacques VI d’Ecosse est le fils de Marie Stuart, reine d’Ecosse au destin tragique qui eût la mauvaise idée d’être catholique face à une réforme écossaise exacerbée. Accusée, très vraissemblablement à tort, du meurtre de son 2ème mari Henri Darnley (père de Jacques VI), elle sera forcée à abdiquer et sera retenue en captivité en Angleterre jusqu’à son exécution.

Jacques VI a 1 an quand sa mère abdique en sa faveur en 1567.
Il vivra dès lors reclus au Château de Stirling, à l’abri des troubles et des guerres civiles opposant Marianistes et Protestants.
Il reçevra une éducation protestante et sera élevé dans la haine de sa mère Marie Stuart, sous le contrôle d’un régent autocrate, le Comte de Morton.
Une enfance dure et morose dans laquelle va surgir un personnage qui va changer la vie du jeune roi. Nous sommes en 1579, Jacques a 13 ans et arrive de France son cousin Esmé Stuart d’Aubigny.
Celui-ci, de 20 ans son ainé, va conquérir le roi et, très vite, devenir son intime. Très intime même, si l’on en croit les thèses de nombreux historiens qui soulignent les penchants homosexuels de Jacques VI.

Esmé sera fait duc de Lennox et va prendre de plus en plus de pouvoir, jusqu’à s’opposer au régent Morton qu’il va faire accuser de complicité d’assassinat dans le meurtre de Darnley et qui sera exécuté (ironie de l’histoire puisque, Morton avait en accusé Marie Stuart). Mais Esmé tout-puissant avait beau s’être converti « pour la façade » au protestantisme il n’en restait pas moins un ex-catholique pour les réformés

C’est là ou se produit l’épisode capital de Ruthven qui déterminera à l’avenir nombre des options prises ensuite par Jacques VI.
Le 22 août 1582, (il a 16 ans), le roi est enlevé par un groupe de Lords protestants et retenu prisonnier au Château de Ruthven.
Le jeune Jacques VI est forcé à donner son accord pour éloigner Esmé qui quitte l’Ecosse pour la France où il mourra peu après.
Avec beaucoup d’habileté, Jacques VI réussira à s’échapper et à retrouver sa situation.
Mais Jacques VI n’oubliera jamais cet épisode qui le marquera à vie. Il en conservera une méfiance extrême envers les pasteurs.

Voici sans doute pourquoi, ce roi protestant s’entourera de nombreux catholiques qui lui offriront la garantie de ne pas être à la botte des pasteurs.
Voici sans doute pourquoi le nouvel homme fort du royaume sera James Stewart, capitaine, catholique et ami d’Esmé.
Voici sans doute pourquoi l’on peut concevoir la nomination d’un catholique à la fonction de « Maître des travaux du Roi »


Marie Stuart et Henri Darnley

 

Jacques VI à 8 ans


Le comte de Morton


Esmé Stuart d'Aubigny


Le Château de Ruthven

William Schaw , « Maître des Travaux du Roi »

Voici donc un William Schaw, issu d’une famille qui a ses entrées à la cour du Roi Jacques VI. Qui lui même réside « en voisin » à quelques miles du Château de Stirling, résidence ou a été élevé Jacques VI.

On est sûr à peu près sûr qu’il fréquente la cour du roi dès 1581, puisque l’on reconnaît sa signature parmi les courtisans du roi sur une « Négative Confession », dénonciation systématique du catholicisme imposée par l’église réformée d’Ecosse à tous ceux qui approchent le pouvoir.

Or en 1581, Esmé Stuart d’Aubigny est encore aux affaires et ils sont tous deux catholique vivant dans un même milieu hostile à leur foi. Quelles relations ont-ils eu ? Quelles relations a-t-il eu aussi avec le nouvel homme fort de l’après Ruthven, catholique lui aussi ?

En tous les cas, Jacques VI (ou James Stewart) devait avoir une confiance certaine en lui puisque un an à peine après l’épisode de Ruthven, en 1583, Jacques VI qui n’a alors que 17 ans, le nomme  « Maître des Travaux du Roi ».
Le royaume n’a pourtant pas le besoin urgent d’un maître des travaux, puisqu’il y en a déjà un en fonction : Robert Drummond of Carnock.
Il n’est reporté nulle part que Drummond of Carnock ait déchu de son rôle à quelque moment. Il a 65 ans en 1583 et « Dominus Drummond » tel qu’il est reporté dans les annales du Dumfermline ou il a réparé la nef de l’Abbaye vient d’être nommé « Maître des Travaux du Roi » il  y a 4 ans à peine.

Alors pourquoi nommer Schaw à sa place ?
D’autant plus qu’il semble bien que William Schaw n’ait jamais été officiellement nommé le 21 décembre 1583. Les registres du Sceau Privé du roi n’en font aucune mention. Et selon Mylne, ce n’est qu’en 1592, à la mort de Drummond que sa nomination deviendra effective.

Alors pourquoi nommer Schaw à sa place ? Si ce n’est pour un besoin précis.
Pourtant, Il n’a été entrepris aucun travaux important à cette époque précise. De toutes façons, les caisses du trésor Royal étaient vides. Besoin d’un homme de confiance ?

William Schaw diplomate ?

Le fait est que dès janvier 1584, c’est à dire 1 mois à peine après sa nomination, William Schaw part en France ou il accompagne George Seton (autre catholique et proche de Mary Stuart) chargé de renouveler les traités d’amitié entre les 2 pays.

Sitôt revenu de sa mission, il sera chargé d’organiser la réception d’ambassadeurs Danois venus à propos de litiges opposant l’Ecosse et le Danemark concernant les îles Orkney et Shetland.
(En 1468, ces îles sont mises en gage par Cristian Ier du Danemark et de Norvège en attendant le paiement de la dot de sa fille Margaret qui épousait Jacques III d’Ecosse. La dot n’ayant jamais été payée, ces îles devinrent possession écossaise. Mais un siècle plus tard , les Danois entendaient bien renégocier la partie…)

Sa mission était–elle seulement d’organiser la partie festive de la réception, comme il était fréquent de le faire pour un « Maître des Travaux » (Inigo Jones en Angleterre comme Philibert Delorme en France auront aussi en charge d’organiser les grandes fêtes de leurs souverains) ou bien était-il aussi en charge de la partie diplomatique de cette affaire ?
Il semble bien qu’il ait participé aux négociations, fort de son expérience en France.
En tous les cas, Jacques VI le prit avec lui lors du voyage qu’il fit en Norvège pour aller chercher sa future épouse Anne de Danemark, âgée de 15 ans.
Le Mariage fut célébré le 23 novembre 1589 à Oslo.
Je me suis procuré les actes complets de ce mariage.
S’agit d’un document assez extraordinaire qui permet bien de comprendre la mentalité de l’époque.
(Voir le texte partiel de ces actes)-Le lien semble désormais mort. Si quelqu'un sait où trouver ce texte en ligne...-Notons d’ailleurs qu’une partie de la cérémonie se déroule en Français.
Le mariage ici, est avant tout une alliance d’intérêts ou l’on a juridiquement tout prévu. Une chose est sûre, ce mariage donnera à la couronne d’Ecosse la garantie de conserver les îles Orkney et Shetland. La première mission de William Schaw n’a peut-être pas été étrangère à tout cela…
On trouve bien dans ces actes le nom de William Schaw, cité parmi la suite du Roi d’Ecosse en Norvège.

Le Sacre de la Reine Anne

William Schaw quitte la Norvège avant tout le monde en mars 1590 afin de procéder aux préparatifs du sacre à Edimbourg avec « Ordour set down be his Majestie to be effectuat be his Hienes Secreit Counsall, and preparit agane his Majestic's returne in Scotland - dated in Februarv, 1590 ».
Une accréditation sera émise le 14 mars par le « Provost and Edinburgh Council to deliver £1000 to William Schaw, Master of Wark… in biggin and repairing of this Hienes Palice of Halyrud-house »

Grâce aux actes en question on peut suivre aussi le déroulement des cérémonies préparées par William Schaw à Edinbourg. Car c’est à lui que sera confiée la direction des cérémonies du sacre de la Reine comme en témoigne l’inscription latine se trouvant sur son monument funéraire, composée par la Reine elle-même, où elle fait référence à sa qualité de « Sacris caeremoniis praepositum » qu’il faudait lire comme « Intendant-Directeur des Cérémonies du Sacre » et non pas comme on a pu le voir ici et là « directeur des cérémonies sacrées ».

La liturgie du sacre se déroule le 17 mai avec le serment de la Reine et celui des Etats ( Clergé, Noblesse, Bourgeois et représentants des Comtés) à la reine.
Le 19 mai se déroule la cérémonie d’entrée solennelle dans la ville d’Edimbourg.

Et, là, on se régale…

Parce que qui trouvons nous dans l’escorte à cheval de la Reine Anne entant dans la ville ?
Un certain Her van Sinklar (le document original est en danois).
Il s’agit bien évidemment du fameux Lord William Sinclair of Roslin (nous avons déjà retrouvé cette graphie sur d’autres actes.)
Comme le monde est petit, surtout en Ecosse…
Sa présence est d’autant plus surprenante qu’en 1590 il vient de mettre en fureur l’église protestante pour avoir osé baptiser son fils dans sa chapelle de Rosslyn, chapelle honnie par les réformés parce que pleine d’ « images ». Les réformés n’hésiterons d’ailleurs pas par la suite à sacager la chapelle et à détruire les autels et de nombreuses sculptures. Mais William Sinclair, personnage souvent fantasque mais non dénué de panache, n’hésitera jamais à braver l’Eglise réformée pour défendre sa foi et sa chapelle (ce qui lui vaudra d’ailleurs de s’exiler lui-même en Irlande à la fin de sa vie).

Ont lieu ensuite quelques pièces scèniques mettant en scène les 4 vertus cardinales Prudence, Tempérance , Force et Justice. Puis…
une petite comédie représentant la visite de la Reine de Saba au Roi Salomon et nous parlant entre autres de sagesse, de force et de beauté.
Ceci nous rappelle à nouveau comme nous le répétons à chacune de nos interventions à quel point ces éléments sont partout présents dans la vie de l’homme de ce temps.

George Seton

Anne de Danemark

William Schaw et la Reine

William Schaw entretiendra toujours une relation particulière avec la Reine dont il sera le Chancelier - Chambellan (Reginae Quaestiren).
Il aura en charge sa seigneurie de Dunfermline, comportant la résidence de la Reine ainsi que l’abbaye du même nom.
C’est d’ailleurs dans cette abbaye qu’il sera d’ailleurs enterré en avril 1602.
C’est la reine elle-même qui ordonnera la construction en hommage pour lui d’un monument funéraire (que l’on peut encore visiter aujourd’hui) ou elle inscrira l’épitaphe suivante :
« Au Dieu Très Saint et Très Haut. Sous cette pile de pierres gît un homme illustre  pour sa rare expérience, son admirable rectitude, son incomparable intégrité de vie, William Schaw, Maître des Travaux du Roi, Directeur des Cérémonies du Sacre et Chambellan de la Reine. Il est mort le 18 Avril 1602, ayant séjourné parmi les hommes pendant cinquante deux ans. Dans son enthousiasme à améliorer son intelligence, il voyagea en France et dans de nombreux royaumes. Accompli dans tous les Arts Libéraux, il excellait en architecture. Les princes l’admiraient particulièrement pour l’évidence de ses dons. Dans sa vie professionnelle comme dans ses affaires il était non seulement infatigable et indomptable mais aussi consciencieux et droit. Sa capacité innée à servir et à placer chacun face à  son devoir lui ont valu la chaleureuse affection de tous les hommes de bien qu’il l’ont connu. Maintenant qu’il repose au ciel pour toujours.
La reine à commandé qu’un monument soir érigé à la mémoire de cet homme admirable et droit pour que le souvenir de ce grand personnage qui mérite d’être honoré ne fane pas tandis que son corps devient poussière. »
Même s’il s’agit d’une épitaphe funèbre forcément élogieuse, on est tout de même frappé par le choix des mots qui montrent combien le travail et la personnalité de William Schaw ont forcé le respect jusqu’aux plus hauts sommets de l’Ecosse.
Je dois par ailleurs signaler au passage que ce que l’on prend souvent sur ce monument funéraire pour une marque de maçon ressemble bien plutôt à un monogramme. Pour avoir étudié des centaines de marques de maçon écossaises de cette époque il faut bien dire que celle ci ne ressemble en rien à une marque alors qu’elle reprend tous les éléments du monogramme de Schaw. D’autre part, je n’ai jamais trouvé que des marques gravées en creux et jamais en relief comme celle-ci.

William Schaw Peintre ?

Pour ajouter à la connaissance du personnage William Schaw, je voudrais présenter ici un document encore inédit le concernant.
J’ai longtemps recherché un portrait de William Schaw, d’époque, bien entendu, et non pas postérieur mais je ne pense pas qu’il en existe. (Je lance un appel si quelqu’un a une piste…)

Par contre, j’ai trouvé une toile peinte par William Schaw, lui même. En tous les cas elle est donnée comme telle par la célèbre maison de ventes aux enchères d'objets d'art Tajan qui indique dans son catalogue de vente du 20 octobre 2004 sous le numéro 116 : Attribué à William Schaw (1550-1602), Un étalon et son palefrenier. Toile 71,5x91,5. Porte un monograme en bas à gauche WS 1763. 6000/8000 euros. J’ai appelé Tajan pour avoir plus de certitudes sur l’autenticité de la toile qui m’apparaissait un peu moderne pour l’époque, on m’a simplement répondu « Mais vous êtes chez Tajan, Monsieur, nous ne laissons pas paraître n’importe quoi dans nos catalogues… »
Je vous laisse vous faire une idée par vous même.

Il s’agit d’un tableau de belle facture très classique qui malheureusement n’a aucun rapport avec la maçonnerie, et vous pouvez croire que je l’ai analysé à la loupe.
Rien. Si ce n’est qu’il donne à William Schaw encore une autre dimension, celle de peintre…

La charge de « Maister of the wark »

William Schaw peintre, Chambellan de la Reine, Maître des Cérémonies du Sacre, mais aussi.  « grit maister of wark of all his highness’ palaces, … and greit oversear directour and commandar of quhatsumevir palice » Bk. Old Edinb. C. XXV. 63. d grand maître des travaux des palais de son altesse… et grand  surveillant chef et gouverneur d’autres palais. Il est décrit comme « Regius Architectus » Architecte du Roi et « Architecturae Peritisimus Princiipibus » Chef d’Architecture Expérimenté

En quoi consistait à cette époque la charge de « Maister of the wark » ?

La première mention de cette fonction appointée (c’est à dire permanente et quasi-salariée) dans le Sceau Privé du Roi apparaît en 1529 avec Sir James Nycholay qui a en charge le Château de Stirling, il partage sa fonction avec John Scrymgeour. Qui lui s’occuppe de Falkland.
En 1539 Sir James Hammyltoun of Fynnart, dont l’histoire assez extraordinaire mériterait de plus amples développements tant elle est riche de rebondissements. Architecte de talent, on lui doit entre autres les plus grandes parties du Château de Stilling, il deviendra très influent auprès du roi Jacques V mais celui qu’on appelera « le bâtard d’Arran » , victime d’un complot finira sur l’échafaud.
1541 Robert Kobertson, Carvour. (Sculpteur)
1543 Johnne Hammyltoune, Vicaire de Crage.
1579 Sir Robert Drummond of Carnock, qui construira le Château de Doune, entre autres, et à qui William Schaw « soufflera » la fonction.
Puis donc en 1583 ou en 1592 William Schaw., donc.

La charge de « Maister of the wark » inclut à la fois les fonctions d’architecte et d’intendant. Il construit, renove et assure la maintenance des bâtiments qui lui sont confiés. Comme on l’a vu ses responsabilités peuvent l’amener à organiser les réceptions du roi, pour la bonne et simple raison que celle-ci mettent souvent en œuvre des moyens important, et nécessitent parfois la construction ou l’aménagement de bâtiments.
Comme c’est le cas pour James Hamilton of Finnart ou pour Schaw, la proximité avec le Roi et le pouvoir peuvent aussi l’amener à déborder de ses fonctions et à intervenir là ou le roi pense que ses compétences ou que la confiance que celui-ci place en lui seront utiles .
Mais à aucun moment le « Maister of the wark » n’a quelque influence ou responsabilité que ce soit sur le Métier des Maçons, ni  sur les Incorporations, ni sur les Loges. Il dirige les Maçons qu’il emploie et c’est tout.

D’ailleurs, quand en 1590, est nommé et confirmé par le roi un – entre guillemets - « Surveillant Régional du Métier » en charge de « office of wardanrie ovir the airt and craft of masonrie…over all the boundis of Aberdine Banff and Kincarne… », ce n’est pas son « Maister of the wark » qu’il désigne mais Patrick Copland of Udoch qui n’est pas architecte mais simple propriétaire terrien.

Alors qu’est ce qui va amener William Schaw en 1598 à vouloir réglementer le Métier et déborder ainsi de ses fonctions ?

Pourquoi aura t- il attendu 15 ans pour réformer la Maçonnerie écossaise?

La réforme du Métier

Le contexte historique de l’époque peut là aussi expliquer beaucoup de choses.

A la fin des années 1590, Jacques VI a dépassé la trentaine, il a repris en main son royaume qu’il gère plutôt bien, même si les caisse ne sont pas encore pleines.
Jacques VI acquiert une certaine philosophie du pouvoir. Il publie en 1598  "The True Law of Free Monarchy". La lecture de cet opuscule est très révélatrice de l’état d’esprit du roi à ce moment. Il croit en une monarchie « absolue-modérée » et en la divinité des rois qui ont une mission envers le peuple qu’ils doivent diriger et organiser.

Justement, Jacques VI a bien observé que la société écossaise avait changé et il va entreprendre un réorganisation douce du royaume.
La réorganisation de la Maçonnerie semble entrer parfaitement dans ce mouvement d’ensemble.

De plus s’offre à lui l’exemple de nombreux autres pays, qui, à cette époque, opèrent un mouvement semblable de réorganisation sociale et économique. L’Europe a définitivement quitté le Moyen age. Il est temps de moderniser les structures héritées d’un système dépassé.

Concernant la Maçonnerie, on ne voit pas comment le  Maître des Travaux du Roi, William Schaw, catholique ayant voyagé en France ne serait pas informé des réformes qui au même moment se réalisent en de l’autre côté de la Manche.
Henri IV y « reprend en main » les métiers.
Le mouvement commence dès 1589 ou le Roi Henri affirme son pouvoir sur les métiers en faisant paraître un édit stipulant que désormais « …partout où le Roi se rendra en visite, il pourra nommer lui-même les maîtres de chaque Métier sans qu’ils aient à faire aucun Chef d’œuvre ni à payer quoi que ce soit comme il était d’usage ».
C’est une révolution qui donne au pouvoir royal un droit d’ingérence (comme on dirait aujourd’hui) au plus haut niveau de tous les métiers. Il peut ainsi nommer les hommes qu’il a choisi sans même qu’ils aient besoin des qualifications requises si ce n’est d’avoir la confiance du Roi.
Mais vient le plus intéressant.
Le 17 mai 1595, soit 3 ans avant les Statuts Schaw, Henri IV charge Guillaume Marchant (à qui l’on doit entre autres le Pont Neuf à Paris et le Château de Saint Germain) de réglementer le métier de Maçon et il le nomme Maître Général des Œuvres de la Maçonnerie, Juge et Garde du dit Métier. Le 16 mai 1598 soit huit mois avant les Statuts Schaw, les lettres de jussion sont enregistrées et la réforme entre dans les actes en France.
La similitude avec la tentative de réforme de Schaw est frappante.
Centralisation du pouvoir du Métier entre les mains du Maître des travaux du Roi. Pouvoir de justice et de contrôle. Nouveaux réglements. Tout y est.

Alors se pose la question :
Jacques VI d’Ecosse a-t-il missionné William Schaw pour tenter une réforme du Métier à l’exemple de la France ou Schaw a-t-il de lui même mis au point cette nouvelle mise en place ?
Nous ne sommes là que dans des conjectures, mais on voit mal un William Schaw si proche du Roi et de la Reine entamer seul une initiative qui ait autant de conséquences.
On a du mal à croire que William Schaw ait fait cela pour acquérir plus de pouvoir encore. Si cela avait été le cas aurait-il « cédé » aussi facilement devant les revendications de Sinclair, abandonnant son titre de « surveillant général » dans la charte Sinclair de 1601 ? Mais, nous nous aurons l’occasion de revenir sur ce sujet…
En revanche, le fait de voir un homme de confiance débroussailler le chemin avant que le roi ne donne son aval correspond bien au style politique mesuré de Jacques VI.

Nous n’allons pas entrer ici dans le détail des Statuts Schaw ni des Chartes Sinclair, notre Frère 1er surveillant Gilbert Cédot, s’est chargé avec brio de les disséquer pour nous durant ces dernières tenues et il continuera ce soir à nouveau.

Je voudrais seulement insister sur  les titres que se donne Schaw dans ces documents.
Il est révélateur que dans les 3 documents qui nous occuppent ; Statuts de 1598, statuts de 1599 et Charte Sinclair de 1601, il signe toujours du même titre, ce, sans aucune variation : « Maister of the wark ». Il s’agit là de son office et les termes en sont clairs.

Pour le reste, il semble plus tâtonner…
Dans le premiers statuts, il ne signe que « Maister of the wark » mais il introduit au début des réglements sa qualité de « Maister of the wark  to his maiestie and generall Wardene of the said craft.
Il est intéressant de noter comme on le retrouve sur d’autre document que sa charge de « Maister of the wark » est attachée à la personne du roi « his maiestie ».
Dans les Statuts de 1599, il signe « Maister of the wark , wairden of ye Maisons »
Le précieux dictionnaire historique de la langue des écossais (Dictionar o The Scots Leid) nous indique comme définition de Wardene/ Wairden qui sont deux graphies équivalentes de l’époque : an official, overseer or superintendent.  a./ Of a craft guild.  b./ specif.Of the guild or incorporation of masons. Un « officiel », surveillant ou superintendant d’une guilde ou d’une « incorporation de maçons.
Si donc dans les premiers statuts il se donne pour surveillant superintendant général du Métier, dans les second il signe comme surveillant superintendant des Maçons.
Faut il y voir une nuance ? Surveillant superintendant général du Métier évoquant plus une dimension de contrôle et de réglementation globale, ce qui correspond bien au prospos des premiers Statuts.
Surveillant superintendant des Maçons soulignant plus un commandement des personnes, ce qui correspond aussi au contenu des second Statuts
En tous les cas, au contraire de « Maister of the wark », la fonction et les dimensions de « Wairden » ne semble pas encore établis.

Comme nous l’avons déjà dit, William Schaw ne fera plus mention de cette qualité dans la Charte Sinclair ou il est présenté et qu’il signe comme « Maister of the wark » simplement.
A-t-il renoncé ?

Se pose ici la question que nous développerons sans doute lors d’un prochain exposé de savoir de quel côté était William Sinclair.
Est-il intervenu à la demande de William Schaw catholique comme lui pour soutenir sa réforme ?
Est-il intervenu à la demande des Maçons pour tenter de contrer les nouveaux réglements du Métier ?
Dans un cas comme dans l’autre on peut s’étonner que l’un ou l’autre camp est fait appel à un homme aussi controversé à l’époque et dans une position aussi précaire qu’instable.
Serait-ce de Sinclair lui-même que serait venue la réaction, comme une façon de garder ses prérogatives, montrer qu’il a toujours du pouvoir et empêcher qu’on le dépossède encore. A-t-il agi en trublion opportuniste ?
C’est une autre histoire sur laquelle nous reviendrons …

 

L’apport réel de William Schaw à la Maçonnerie

Reste alors la question fondamentale :
Quel a été l’apport réel de William Schaw à la Maçonnerie et l’a-t-il « transformée » en 1598 ?

On lit partout que les nouveaux réglements Schaw ont réformé et transformé la Maçonnerie de l’époque. On parle même de « Loges Schaw » comme si il y avait eu un avant et un après, comme s’il avait modifié la structure, le contenu et le comportement des Loges.

Comment William Schaw aurait-il pu transformer les Loges aussi profondément qu’on le dit en 2 ans seulement ? En effet 27 mois seulement s’écoulent entre les premiers Statuts du 28 décembre 1598 et la mort de William Schaw le 18 avril 1602.
Sachant de plus que ceux cis ont été remis en cause et « renégociés » par Kilwinning un an plus tard en décembre 1599, puis ce sera la Charte Sinclair quelques mois avant la mort de Schaw.

 

De toutes façons, ce que l’on oublie de vous dire, c’est que ces statuts n’ont jamais été enregistrés et approuvés par le Roi.

Ces réglements et donc cette réformes sont donc restés sans effet sur le métier et n’ont jamais eu quelque valeur que ce soit.
Il faut dire qu’en 1602-1603, Jacques VI a autre chose en tête que les maçons écossais. Il est dynastiquement le plus proche héritier d’Elisabeth d’Angleterre et il deviendra Roi à deux couronnes en 1603. Il s’installera à Londres et gérera son royaume écossais de loin. William Schaw n’étant plus là et son successeur David Cunningham of Robertland n’ayant pas repris le projet Schaw, celui-ci tombera aux oubliettes avant d’être exhumé une première fois par Murray Lyon en 1873 et ré-exhumé par Stevenson qui lui donnera sans doute une ampleur exagérée.

Parce que l’on oublie de vous dire aussi que ces statuts, même s’ils figurent souvent dans les archives des Loges écossaises de l’époque, ces statuts ne seront pas non plus appliqués par les Loges.

Il suffit pour s’en rendre compte de se plonger dans les comptes rendus des Loges sur tout le XVIIème siècle.
Ils ne sont pour ainsi dire jamais cités comme référence et l’on peut compter par dizaines les décisions des loges qui ne respectent pas ces statuts. Ce qui montre bien que ceux-cis sont, si ce n’est ignorés, en tous les cas inopérants.

Il y a par contre un point que nous devons à William Schaw, qui sera respécté par la plupart des Loges et qui fera beaucoup pour notre connaissance de la Maçonnerie écossaise.
C’est qu’à partir de 1599 la plupart des Loges tiennent des registres de comptes rendus. Parfois très sommaires, souvent très espacés ou mal conservés, mais il faut reconnaître que sans l’intervention de Schaw nous aurions encore plus de mal à savoir ce que pouvaient bien être ces Loges à cette époque.

Alors reste un point à tenter d’éclairer qui fascine sans doute tout le monde ici.
Quel a bien pu être l’apport ésotérique, puisque le maçon d’aujourd’hui le formule ainsi de William Schaw dans les loges ?

Tout d’abord on ne voit pas comment William Schaw aurait pu intervenir sur le contenu rituel s’il n’a déjà pu influer sur l’aspect formel et réglementaire. Là aussi, il n’aurait eu que deux ans pour insuffler un souffle ésotérique sur les Loges qui unanimes auraient repris les préceptes éclairés d’un seul homme. On peut en douter pour le moins.

Les Status Schaw n’abordent jamais cet aspect de la Maçonnerie de l’époque.
Reste la fameuse citation des statuts de 1599 ou il est fait référence à « l’airt of memorie ».
Nombreux sont ceux, Stevenson en premier, à avoir vu dans ces quelques mots une fenêtre ouverte sur une dimension ésotérique. Ils ont bien sûr tous lu Giordano Bruno, philosophe, et théologien occulte qui  a entre autres fait paraître en 1582 un livre sur les secrets de l’art de la Mémoire.
Il aurait pu bien évidemment influencer Schaw.
Enfin un peu d’ésotérisme dans cette histoire…

Le problème est que l’Art de la mémoire au XVI siècle n’est pas réservé à Giordano Bruno et que surtout il s’agit d’une technique connue depuis l’antiquité que l’on trouve dans des ouvrages très quelconques à cette époque et en tous les cas sans moindre trace d’ésotérisme.
Wiliam Schaw aurait très bien pu lire entre autres :
The Arte of Rhetorique de Thomas Wilson edité à Londres en 1553 puis 1560 puis 1567 puis 1585 ou un chapitre entier est consacré à l’Art de la Mémoire.
Ou bien
The art of memory, that otherwyse is called the Phenix. a boke very behouefull and profytable to all professours of scyences. Grammaryens, rethoryciens dialectyke, legystes, phylosophres [and] theologiens.
par Petrus Ravenna édité à Londres en 1545 et déjà édité en France en latin en 1541.
Ou encore
Congestorium Artificiose Memorie de Johann Host von Romberg Kyrspensis publié à Venise en 1520 et dont voici un extrait:

Trois ouvrages que j’ai pu retrouver, mais il en existe surement d’autres. Ouvrages publiés bien avant le sulfureux Giordano Bruno.

Si l’on veut avoir plus d’éléments sur le contenu rituel des Loges mieux vaut sans doute chercher du côté des transformations drastiques que l’Eglise réformée à imposé aux Loges.
En effet, tout au long du XVIème siècle les réformés vont restreindre les Loges dans leurs cérémonies extérieures. Fini les processions en livrée dans les rues de la ville. Fini les services rendus par les Métiers sur les autels de l’église. Fini les vitraux et autres images, les cierges entretenus par les hommes du Métier. Fini les cérémonies publiques…

On peut se douter que ces hommes n’ont que peu apprécié ces restrictions. D’ailleurs la proportions de Catholiques chez les artisans est restée très largement au dessus de la moyenne en Ecosse tout au long du XVIème siècle.
De là, on peut penser que les Maçons se son recentrés sur leurs cérémonies de Loges, développant leurs rituels et leur attachant une importance d’autant plus grande qu’à l’extérieur, ils étaient interdits.

 

Alors sans mésestimer le rôle de William Schaw, son importance à cette époque et ce qu’il a pu apporter à notre Maçonnerie, peut-être ne faut-il pas non plus surestimer son action.
Peut-être faut-il en finir avec le syndrome de 1717 et arrêter de chercher une date de début ou une date de charnière.
Peut-être faut-il en finir enfin avec cette opposition Maçons Opératifs / Maçons Spéculatifs qui nous pousse à rechercher une charnière artificielle et réductrice (comme si les maçons opératifs n’avaient pas aussi été spéculatifs)
Peut-être faut-il aussi arrêter de nous chercher des héros, ils sont toujours déboulonnés par les faits  et ne résistent au temps que sous la force de la légende, jamais sous l’analyse historique.
Personne n’a inventé ni réformé la Maçonnerie. Elle s’adapte aux temps et aux hommes comme les hommes s’adaptent à elle.

Ceci nous force peut-être aussi à mieux comprendre l’expression « immémorial time ». La Maçonnerie est traditionnelle et c’est toute sa force. Elle ne peut pas se réduire à un événement particulier ou à l’action d’un homme, ni même de plusieurs conjugués. La Maçonnerie est un héritage, le résultat de ce que tous les Maçons en ont fait et elle sera ce que nous en ferons tous.

POST SCRIPTUM:

Patrick Sautrot, traducteur français de l'excellent "Les Premiers Francs-Maçons", de David Stevenson (Editions Ivoire-Clair ) - dont nous recommandons vivement la lecture -, a eu la gentillesse de nous écrire en apportant à nos travaux un complément d'information des plus intéressants :

"En ce qui concerne l'Art de Mémoire, ne pas oublier qu'Alexander Dickson, disciple écossais de Giordano Bruno, et William Fowler, secrétaire de la Reine, à qui il enseignait l'Art de Mémoire, fréquentaient tous deux la cour d'Ecosse en même temps que William Schaw. William Schaw, outre ses fonctions de Maître des Travaux était également Chambellan de la Reine."