Rudyard Kipling
25 Mars 2006

Les origines de la Maçonnerie Ecossaise (2ème partie)

Comme nous l’avons vu, donc, l‘Ecosse est une terre ou la pierre joue un rôle très important...

Les débuts de la maçonnerie en Ecosse

Mais, en ce qui concerne la construction, c’est essentiellement la « pierre sèche » qui, très longtemps, prévaudra. Simplement parce que c’est le type d’architecture qui lui correspondra le mieux pendant longtemps.


Il faut dire que l’Ecosse est un petit pays, d’une superficie de 77 500 m2, soit moitié moins que l’Angleterre et  7 fois plus petite que la France.

En 1300, on peut estimer la population écossaise à moins d’1 million d’habitants, 6 fois moins qu’en Angleterre et 16 fois moins qu’en France. (1)

De plus, les habitants vivent de façon assez disséminée sur le territoire. Edimbourg, la ville la plus importante dès le XIVème siècle, ne compte pas plus de 400 maisons… comme en témoigne Jean Froissard (1338-1410?) de retour de voyage en Ecosse
Les besoins architecturaux sont donc peu importants.

Et lorsque le besoin se fait sentir de construire un bâtiment d’importance, une église le plus souvent, on a recours à des maçons étrangers. Comme Nectan IV, roi des Pictes, qui en 710 fera appel à des maçons de Gaule pour construire une église « à la façon romane » (Bède).
En fait, il faudra attendre Guillaume le conquérant (1066) pour que la maçonnerie de « pierre taillée » pénètre réellement l'île Britannique.Et il faudra attendre près d’un siècle de plus pour que l’essor de la construction Anglo-Normande n’atteigne l’Ecosse.

Guillaume le Conquérant

Mais là encore, quand en 1128 David Ier voudra édifier son abbaye de Holyrood (Saint Crucifix), il enverra chercher en France et en Flandres (notez bien ces 2 pays, nous les retrouverons souvent dans notre histoire) des « right crafty masons ».

Les années qui suivront verront la domination de l’Ecosse par l’Angleterre. L’architecture, elle aussi, subira une forte influence anglaise ou plutôt anglo-normande. Ce sera le cas pour les premiers édifices écossais importants, St Rules (1130-1140) tout d’abord, puis, Durham Cathedral ( ?-1128), Dunfermline Abbey (1128-1150), Dalmeny (1128-1150), Leuchars (?-1185). Il est d’ailleurs fort probable que ces constructions aient été réalisées par les mêmes équipes de maçons, comme le montrent les relevés de marques de maçons réalisées sur les pierres de ces édifices.

Dunfermline Abbey

Dalmeny

Leuchars Church

Nous avons les noms de certains maçons qui ici ou là on laissé trace de leur passage, comme par exemple :
Robert le maçon qui réalisa une tombe à Melrose en 1206, Maître Richard, qui reçut des gages pour son travail à Edinbourg, Stirling et Aberdeen (ce qui montre bien l’itinérance du métier). (Fin XIIIème siècle)
Maître Peter travailla lui à Dumfries et à Wigtown. (Fin XIIIème siècle)

A partir du XIVème siècle, l’activité de ces maçons devient assez documentée pour que l’on puisse suivre d’assez près leurs activités. Et de nombreux édifices furent construits à cette époque. Eglises, abbayes, mais aussi châteaux et fortifications

Les guerres avec l’Angleterre sont alors incessantes. Malgré la reconquête du pays par William Wallace –Braveheart- (1297-1298) puis Robert the Bruce (1306-1314), puis la déclaration fameuse d’Arbroath –l’appel au pape- (1320), les affrontements ne se ralentiront qu’à la toute fin du Xvème siècle.
Ceci explique sans doute pourquoi les Ecossais se sentent aussi proches de la France, son allié depuis la « Auld Alliance », alliance qui débuta dès 1295 et qui fut renouvelée par pas moins de 20 traités jusqu’en 1558.

En ce qui concerne l’architecture, si l’influence anglaise imposée fut importante, l’influence française fut choisie et non moins importante.
On en retrouve de très nombreuses traces, surtout à partir de la fin du XIVème siècle.

John Morrow, (anciennement Jean Moreau) born in Parysse, certainly, and had in kepyng al Maysouns werk. (Abbaye de Melrose, circa 1400)

Comme celle de John Morrow, (anciennement Jean Moreau) qui comme deux inscriptions sur le transept ouest de l’abbaye de Melrose nous le disent est « born in Parysse, certainly, and had in kepyng al Maysouns werk. ». Cette abbaye de Melrose est d’ailleurs très typique de ce changement de style. Commencée vers 1385 le presbytère, le transept nord et une partie de la nef sont dans un style très anglais, mais le reste de la construction s’achève dans un style très français dans les années 1425. (Il est d’ailleurs bien probable que ce même Jean Moreau, ou ses élèves soient pour partie responsables de la construction de la célèbre Rosslyn Chapel, commencée en 1446, de nombreux détails architecturaux étant communs à Melrose et à Rosslyn, mais nous en reparlerons plus tard…)

Influence française, anglaise ou encore flamande, la maçonnerie écossaise ne commencera à prendre une réelle indépendance qu’à partir du milieu du XVème siècle. C’est d’ailleurs à partir de ce moment qu’elle commencera à se structurer.

L’incorporation des métiers

Nous sommes à un moment de l’histoire où, partout en Europe, les villes et les bourg commencent à prendre une place grandissante dans le tissu social. L’Ecosse, même avec un peu de retard, n’échappe pas à ce mouvement d’urbanisation.
Cette vie urbaine va demander une structuration fort différente de celle des campagnes. Tout naturellement, les citoyens vont s’organiser, s’associer pour répondre aux nouveaux besoins de ces nouvelles communautés.

En Ecosse, comme partout d’ailleurs en Europe, le point central de la vie de chacun, c’est l’église. C’est donc tout d’abord autour de l’église que s’opèreront ces nouvelles organisations.
Deuxième point d’ancrage de la vie des hommes de cette époque : les métiers.
C’est ainsi que vont voir le jour de très nombreuses associations de métiers : Craft Guilds ou Companies ou encore Misteries (du français mestier) en Angleterre, Craft Incorporations en Ecosse.
Ces corporations vont bien sûr avoir pour objet de réguler les métiers et de faire valoir leurs droits dans la cité.
Dès lors, seuls les hommes du métier de la corporation pourront œuvrer dans les limites de la cité et donc profiter de ses avantages.
En contrepartie, la corporation garantira les bonnes pratiques de ses membres face à la cité et au « consommateur ».

Chaque corporation, petite ou grande, riche ou pauvre participe à la vie de la cité ou elle est représentée. Ces représentants composent les « bourgeois » de la cité. Et c’est dans ces « bourgeois que la cité va puiser les autorités de son gouvernement local.

Mais les activités des corporations ne se limitent pas aux seules préoccupations opératives de leurs membres.
Elles prennent aussi en charge la vie spirituelle du groupe comme de l’individu.
On a trop souvent mésestimé l’importance de cet aspect pourtant primordial des corporations. On ne peut pas comprendre ce que pouvaient représenter ces organisations si l’on ne les regarde pas avec l’œil de leur époque et de leur mentalités. Notre vision moderne nous déformant les réalités.

Il faut dire qu’à cette période de l’histoire, le spirituel est partout, étroitement mélangé à chaque action humaine fut-elle la plus matérielle. L’homme du métier de l’époque vit donc son métier dans une dimension spirituelle constante.

Autre composante à ne pas négliger, la structuration communautaire de la vie, ou le groupe est toujours plus important que l’individu. On vit dans une ekklesia (assemblée) permanente. L’église est partout dans le quotidien de l’homme.

L’organisation religieuse des métiers a été très importante en Ecosse. A Edimbourg, par exemple, chaque métier possédait son autel à St Giles Church pour honorer son saint tutélaire. Et l’on peut voir à quel point le fait religieux était présent dans le métier quand on sait que le maître de cette fraternité était indifféremment appelé « Kirkmaster », « Godman » ou « Deacon », ceci, non seulement parce qu’il s’occupait de l’autel du métier mais aussi parce qu’il assistait le « Chaplain » dans la célébration de certains offices.

Nous avons parlé de fraternité de métier, et il s’agit exactement du terme que l’on devrait employer.Tout d’abord, parce qu’il faut savoir que nombre de ces corporations sont directement issues de fraternités religieuses, devenues par nécessité du temps des fraternités de métier.

Ensuite parce que la dimension fraternelle des métiers est très importante, à travers sa fonction religieuse d’abord, mais aussi d’entraide au quotidien et de bienfaisance (d’ailleurs, un certain nombre d’Incorporations se sont perpétuées en ne conservant qu’une fonction d’organisation caritative c’est le cas de « The Incorporation of Goldsmiths (orfèvres) of the City of Edinburgh » (2) toujours en activité, ou même de mutuelle d’assurance professionnelle comme « The Royal St Crispin Benefit Society » en activité jusqu’en 1904 et descendant de l’incorporation des Cobblers (cordonniers) dont nous retrouvons trace en 1449 à Edinbourg comme dédiée à St Crispin  »

Si les incorporations se préoccupaient de l’âme des vivants, à travers la vénération des saints, l’illumination des autels et des cérémonies religieuses particulières au métier, elles se préoccupaient aussi du repos post-mortem de ces âmes à travers des services funéraires, des messes dédiées aux morts, des offrandes et aussi un secours aux veuves et aux orphelins.

Que sait-on encore de ces incorporations ?

On sait que le serment était un acte constitutif fréquent dans les métiers.
Il était de coutume qu’un maître nouvellement élu, mais aussi les surveillants ou diacres prêtent serment devant le maire de la cité.
Voici par exemple le serment que devaient prêter les Maîtres « Scriveners » (écrivains publics-notaires) en 1391, c’est en Angleterre mais cela aurait très bien pu être en Ecosse. J’ai choisi celui ci parce qu’il devrait vous rappeler quelque chose…
« Moi, N., de ma propre volonté, jure sur les saints évangiles d’être loyal dans mon office et mon métier…/… je ne transcrirai, ni ne permettrai de transcrire à quiconque s’il est en mon pouvoir et en ma connaissance, aucun acte mentionnant une date très antérieure à sa réalisation, ni très postérieure, ni un acte en blanc, ni aucun acte scéllé avant l’écriture de celui ci, ni des lettres cachetées…, ni…, ni… . Que dieu me soit en aide et tous les saints. »
La structuration de ce texte est pour le moins très proche de textes que nous connaissons aujourd’hui, mais il faut savoir que la façon de prêter serment (tout comme les châtiments d’ailleurs, mais c’est une autre histoire) encore en usage dans nos loges s’inscrit dans une tradition très ancienne du serment britannique.

On sait aussi de ces corporations qu’elles pratiquaient le secret, ce, aussi bien sur le contenu de leurs délibérations que sur les secrets du métier. On retrouve dans de nombreuses chartes de métiers « qu’aucun membre ne doit enseigner les secrets du métier à un journeyman.»
On ne connaît bien évidemment pas le détail de ces secrets, (c’est normal, ils étaient secrets), mais l’on se doute bien qu’il devait s’agir d’éléments spécifiques autres que des éléments de qualification professionnelles puisque le journeyman était employé à des tâches souvent similaires à celles d’un homme du métier. Seulement le journeyman ne possédait pas les mêmes droits (ce journeyman a d’ailleurs souvent été formé en apprentissage à la même « école » que l’homme du métier, mais pour des raisons diverses, souvent pécuniaires, il n’a pas pu « s’installer »).
Il apparaît donc évident que ces secrets servaient avant tout à se faire reconnaître comme « ayant-droit ». Quelles formes pouvaient bien prendre ces secrets, nous nous poserons sans doute longtemps la question. Mais le principe du secret de reconnaissance, est ce qui me semble le plus important.

On sait encore que ces corporations mettaient un soin tout particulier à la confection de leur décorum. Les musées écossais possèdent encore de très nombreux témoignages de l’attention que prenaient les métiers à réaliser leurs bannières, leurs mobiliers, leurs armes mais aussi ce que l’on appellerait aujourd’hui leurs décors et que l’on appelait à l’époque leur « livery » (livrée).
D’abord parce que ces liveries, très codifiées étaient représentatives de leurs origines, de leurs droits et de leurs pouvoirs.
Elles étaient éminemment signifiantes et d’ailleurs très régulées par les autorités.
On retrouve nombre de débats et de décrets donnant, retirant ou négociant le droit de porter, en public, le plus souvent, lors de parades ou de cérémonies, tel type de détail vestimentaire ou telle type de couleur.
Chaque métier arbore les symboles de son métier dont il est jaloux. Chaque officier porte les signes distinctifs de son office qui lui accorde les privilèges qui lui sont attachés.
(Citons au passage le fait que les maçons portaient leurs tabliers et que comme le mentionne Harry Carr, dès 1599, les apprentis devaient fournir une paire de gants le jour de leur entrée en loge.)

The Incorporation of  Masons and Wrights à Edimbourg

Autre élément d’importance, ces corporations, afin d’être plus représentatives et plus puissantes auprès des autorités locales se regroupaient souvent. C’est le cas des Maçons et Charpentiers à Edinbourg qui ensemble demandent et obtiennent un « Seal of cause », c’est à dire une sorte « patente » auprès des autorités de la ville.
Le 15 octobre 1475, un conseil composé du maire (mayor), des conseillers municipaux (Aldermen), du doyen de la Guilde des marchands et des diacres de tous les métiers de la ville, décernent aux Maçons et Charpentiers une charte spécifiant leurs droits et privilèges.

Cette charte se compose de deux documents dont Murray Lyon donne le texte intégral original.
Nous n’allons pas ici rentrer dans une analyse systématique de ce texte mais essayer d’en dégager quelques grandes lignes révélatrices à travers un résumé.

1/ Deux maçons et deux charpentiers assermentés seront choisis pour inspecter le travail réalisé par les hommes du métier de façon à garantir que les employeurs reçoivent un juste retour de ce qu’ils auront payé.

2/ Si un employeur est insatisfait, il pourra se plaindre auprès du diacre de la corporation et des inspecteurs. Le maire et les diacres pourront à la suite de cela décider d’amendes.

Notons tout d’abord à nouveau, le fait que les inspecteurs aient préalablement prêté serment, soulignant ainsi l’importance de celui ci dans le quotidien des hommes de cette époque (A ce sujet, je vous recommande l’opuscule lumineux de René Guilly intitulé « notes dur le serment).

3/ Tout nouvel homme du métier arrivant en ville pour réaliser ou sous traiter un travail, devra être examiné par les inspecteurs pour s’assurer de ses qualifications. Il devra alors payer un Mark d’argent pour la réparation de l’autel de St Jean

Il est intéressant de constater que nos inspecteurs doivent se livrer à une forme de « tuilage » auprès des « visiteurs ». Quelle forme prenait ce contrôle ?
On voit bien ici, aussi que les maçons avaient l’habitude de se déplacer de ville en ville, selon le travail.
D’autre part, le texte atteste clairement de la connexion du métier avec l’église. Les Maçons et Charpentiers se verront d’ailleurs assigner dans cette charte le privilège d’occuper l’aile de l’autel de Saint Jean auxquels ils se sont dédiés dans l’église collégiale de St Gilles.

4/ Aucun apprenti ne pourra être accepté pour un contrat de moins de 7 ans et il devra payer 1/2 mark a son entrée. S’il quitte son maître avant le terme et que quelqu’un le prend a son service, il devra payer 1 livre de cire (à cierge) pour l’autel…
Après que l’apprenti ait servi ses 7 ans, il sera examiné par les  inspecteurs pour déterminer s’il est apte ou non à être engagé dans le métier. S’il est approuvé, il devra payer 1 mark à l’autel pour obtenir les privilèges du métier. S’il ne satisfait pas ses examinateurs, il devra servir un maître jusqu’à ce qu’il soit jugé qualifié pour être reçu maître et fait « bourgeois » (burguesscitizen) et homme du métier.

On voit bien ici que l’homme du métier n’a rien d’un prolétaire, tel qu’on pourrait l’imaginer aujourd’hui. C’est un bourgeois, un chef d’entreprise. S’il n’a pas réussi son apprentissage, il deviendra sans doute ouvrier, cowan. Il peut aussi renoncer à la maîtrise ou ne pas y être accepté, il deviendra alors journeyman, louant ses services chez un maître, à la tâche et là où se présente le travail. Il n’aura alors pas droit aux privilèges de l’homme du métier, mais n’en aura pas non plus les obligations.

5/ Concerne les dissensions entre les hommes du métier et punitions.

La corporation est un corps auto-gouverné, régulé selon des règles communes prévues dans le Seal of cause.

6/ Les deux métiers auront leur place dans toutes les processions publiques, comme dans la ville de Bruges et les pareillement bonnes villes.

On voit ici la confirmation de l’influence des pays continentaux comme les Flandres, pris comme références dans le métier, ainsi que nous en parlions plus haut. (A ce moment, la Ligue Hanséatique est au faîte de sa puissance commerciale)

Si un homme du métier venait à décéder sans laisser de quoi assurer de bonnes funérailles, les deux métiers devront lui assurer un enterrement décent à leurs frais, comme il est dû à un frère du métier.

Confirmation ici aussi, de la préoccupation des corporations pour les âmes de leurs « frères » du métier.

7/ Ou il est question du pouvoir donné à la corporation d’adopter d’autres règlement pour le bien de la communauté….

The Incorporation of  Masons and Wrights à Edinbourg  regroupe donc sous la même bannière deux corps de métiers différents : les  Maçons et Charpentiers.On peut donc se poser légitimement la question du secret des métiers, puisque les deux métiers se réunissaient ensemble sans pour autant posséder le même type de qualification et fort vraisemblablement pas non plus les mêmes moyens de reconnaissance.
En fait, et le point est très important à souligner, derrière la corporation, « façade » représentative pour la cité, le métier conservait son organisation propre et totalement indépendante et « réservée aux seuls membres». Cette organisation préexistait le plus souvent aux incorporations, perdurait pendant l’incorporation et continuait même à exister sans elle.
On retrouvera d’ailleurs cette double organisation pour les Maçons tout au long du XVIIème siècle, après même les Statuts Schaw.

Alors bien sûr, il est beaucoup plus difficile d’avoir des éléments sur ce qu’il se passait dans la « loge », puisque c’est ainsi que se dénommait, cette structure réservée au métier.
On ne saura sans doute jamais grand chose sur ce qui s’y  passait réellement.
Bien sûr, nous avons ici et là quelques mentions attestant des loges de Maçons mais elles ne sont qu’anecdotiques.
Le 27 juin 1483, par exemple, où, à Aberdeen, « six masownys of the ludge » sont pris à la faute et l’un d’entre eux sera même « excludit of the ludge »
Ou comme en 1491 à Edinbourg ou les statuts de la ville fixent les horaires de travail des maçons (5h à 8h, 8h30 à 11h, 1h à 4h et 4h30 à 7h en été et du lever à la tombée du jour en hiver) et où l’on spécifie que les maçons peuvent « gett a recreatioun in the commoun luge ».

Mais il faudra attendre 1598, que William Schaw demande aux loges de réaliser des comptes rendus de loges pour enfin commencer à disposer d’éléments fiables (nous en reparlerons lors des tenues à venir).
En tous les cas, le fait que Schaw demande aux loges de faire des comptes rendus, veut bien dire qu’il n’était pas de coutume d’en faire avant. On ne voit d’ailleurs pas pourquoi ils en auraient fait. La tradition était orale, le secret était de rigueur, le papier était cher, tout le monde ne savait pas écrire…

Résumons nous.

Nous avons donc affaire à des Maçons de métier organisés en fraternité, qui pratiquent la bienfaisance, dont les préoccupations religieuses, spirituelles et spéculatives sont partout présentes. Des Maçons en décors qui prêtent serment, qui réalisent des cérémonies, qui examinent les « visiteurs » et qui cachent leurs secrets. 

Ca vous fait penser à quoi ?

 

A ce moment de nos travaux, je voudrais « tordre le cou » à un parti-pris « bien-pensant » concernant l’histoire des origines de la Franc-maçonnerie.
Il s’agit de la dichotomie « spéculatif » / « opératif » que l’on retrouve aujourd’hui un peu partout et qui pour le moins constitue un abus de langage.
Brièvement, elle consiste à dire que les loges d’après 1717 seraient des loges spéculatives, ce qui est vrai (mais pas tout a fait, puisque un certain nombre de Loges Ecossaises ont continué à être « opératives » bien après 1717).
Par opposition, les loges d’avant 1717 seraient « opératives », ce qui est vrai, là aussi. Mais le problème est que l’on pourrait comprendre qu’elles ne seraient QUE « opératives ». Ce qui revient à nier la dimension spéculative des opératifs. Ce qui, on l’a vu, serait une erreur absolue.

Il est tout de même un peu fort d’assister ainsi à un retournement de la réalité. Le moderne, toujours auto-persuadé de sa supériorité sur l’ancien en vient même à s’auto-proclamer spéculatif/contemplatif (spéculatif, de speculum, miroir) alors qu’il a hissé le matériel au rang de valeur principale. Il relègue du même coup l’ancien à de seules capacités opératives alors qu’il vivait une spiritualité au quotidien. Nous serions des penseurs et nos prédécesseurs, des ouvriers.

L’erreur peut être grave de conséquences et n’est souvent pas innocente. Elle permet de réfuter comme « ancêtre potentiel », sans discussion,  tout ce qui est opératif et surtout, il faut bien le dire tout ce qui n’est pas d’ascendance anglaise.

Je pense qu’il faut ouvrir nos esprits et avec rigueur considérer que l’histoire est toujours à la fois complexe et multiple. Tous ceux qui ont voulu réduire l’histoire à une théorie simple se sont toujours trompés. L’histoire maçonnique ne fait pas exception.

Mardi dernier, il y avait une initiation à Goodwill n°17. Pour une fois, je n’ai pas eu à jouer les dépanneurs en prenant un office à la volée. J’ai donc pu pour la première fois depuis assez longtemps assister à une tenue en spectateur attentif. J’ai essayé (pour autant que je le puisse) de me mettre dans la peau d’un maçon du XVème siècle qui assisterait à cette cérémonie.
Tout compte fait, j’ai trouvé cette cérémonie, malgré toutes les transformations et les évolutions qu’elle a pu connaître, bien plus anachronique dans notre temps que dans celui d’un maçon du XVème siècle.

 

(1) Des chiffres à prendre avec précaution puisque nous sommes en pleine période des grandes pestes et les populations peuvent chuter ou se régénérer extrêmement vite (Ex : France, 16 M d’hab en 1300, 20 M d’hab en 1345, 12M d’hab en 1400)

(2)
The Incorporation of Goldsmiths of the City of Edinburgh, Goldsmiths Hall, 24 Broughton Street, Edinburgh EH1 3RH http://www.assayofficescotland.com/incorp.html



ADDENDA

Serment des Ecrivains
Londres 1391

I, N., of my own proper will, swear upon the holy evangelists to be true in my office and craft, and to be diligent that all the feats that I shall make to be sealed shall be well and lawfully made after my understanding and knowledge. And especially I shall not write, nor suffer to be written by none of mine to my power and knowing, any manner of deed or writing to be sealed bearing a date a long time before the making of the same, nor a long time after, nor a blank charter, nor other deed sealed before the writing thereof, nor closed letters of a date far distant, nor of long time where through any falsehood may be perceived in my conscience, nor no copy of a deed but well examined word by word. And neither for haste nor for covetousness I shall take it upon me to make any deed touching inheritance or other deed of great charge whereof I have no cunning [sachaunt] without good advice and information of counsel. So help me God and all the saints.

Texte complet des Ordonnances de 1391 en cliquant ici

 Burgess oath, Dunfermline circa 1500

 

Texte original de la Charte des Masons and Wrights
Edimbourg, 1475.
(Ce document n'a jamais été publié, à ma connaissance, depuis David Murray Lyon, 1873)

"Till all and ,syndry quhom it efferis quhais knawledge thir present lettres sall cum ;-The prowest, ballies, counsall, and the dekynnis of the hale craftismen of the burgh of Edinburgh, greting in God, euirlestand, Wit your vniuersiteis that our comburgessis and nychtbouris, all the craftsmen of the Masonis and,the Wrichtis within the said burgh, quhilkis presentit to ws in jugement thair bill of supplicatioun, desyring of ws our licence, con.sent, and assent of certane statutis and reullis, maid amangis tham self, for the honour and worschip of, Sanct Jhone, in augmentatioun of devyne seruice, and richt sa for reuling, governyng of the saidis twa craftis, and honour and worschip of the towne, and for treuth and lawte of .the saidis craftis, proffitable baith for the wirkaris and to all biggaris-the quhilk bill, togidder with thair statutis and reullis before ws red and thairwith we beand wele awysit, considerit and fand that thai war gud and* loveable, baith to God and man, and consonand to ressoun, and thairto we assentit and grantit tham thair desyris, togidder with the Ile of Sanct Jhone in . the college kirk of Sanct Gele, to beild and put to polesy in honour of the said Sanct, and for the sufferage of devyne seruice, and thir ar the artikallis and statutis at we haf approvit and for ws, in sa fer as we haf power ; -In the first it is thocht expedient that thair be chosin four personis, of the best and worthiest of the twa craftis, that is to say twa masonis and twa wrychtis, that sall be sworne, quhilkis sall serche and se all wirkis at the craftismen wirkis, and that it be lelely and treuly done to all biggaris ; Item, gif ony man beis plentuous of ony wirk, or of ony wirkman of the saidis craftis thai to complenye to the dekin and the four men, or on-y’twa of tham, and thai persons sail caus the scaith and wrang to be amendit, and gif thai can nocht, the prowest and billies to gar it be amendit as efferis. Item, gif ony persoun or persouns of the saidis craftis cummis of newe after this act to the guid towne and schapis to wirk, or to tak wirk apoun hand, he sail first cum to the said four men, and thai sall examyn him gif he be sufficient or nocht, and gif he beis admittit he sall lay downe to the reparatioun of the altar a merk. Item, that na master nor persone of ony of the craftis tak ony prentis’for les termis than scvin yeirs, and ilk prentis to p,ay- at his entre to the- said altar half a merk, and gif: ony prentis’ of quhatsumeuir of the saidis craftismen, or yit his feit man, .pasis away or the ische of his termes but leif of ,his master, and quha that resauis the prentis or feit man,.thai sall pay to the altar ane pund of walx the first falt, the secund falt twa pundis of walx, the third falt to be pvnist be the provest and ballies of the towne as efferis ; and allswa, quhen ony prentiss’es has completit his ‘termis and is worne out, he sall be examined be the four men gif he be sufficient or nocht to be a fallow of the craft, and gif he be worthy to be a fallow he sall ‘pay half a merk to the altar and brouke the priuilege of the craft, and gif he be nocht sufficient .he sall serf a master quhill he haf lirit to be worthy to be a master, and than to be maid freman and fallow. Item, gif ‘thar be ony of the craft that disobeyis or makis discord amangis the craftismen of ony of the craftis, or that ony of them plenyeis apoun them sall be brocht befor the dekynnis and o.uermen of the craftis, and thai to gar amend it be trety amangis thamself, and gif thai can nocht be faltouris to be brocht and pvnist be the prowest and ballies of the towne for thair ,trespas as efferis. Alswa, the saidis twa craftismen sall caus and haue thair placis and rowmes in all.generale processiouns lyk as thai haf in the towne of Bruges, o.r siclyk gud townes, and gif ony of the craftismen of outher of the craftis decesis and has na guds sufficient to bring him furth honestly, the saidis craftis sall, vpon thair co&es and expensis, bring him furth and gar bery him honestlie, asthai aucht to do of det to thair brother of the-craft ; and alswai it sall be lefull to the saidis twa craftis and craftismen of, Wrichtis and .Masounis to haue power of quhatsumeuir vtheris actis, statutis, or ordinancis that thai think mast convenient for the vtilite and proffet of the gud towne, and for tham to statut and ordane with awys of the hale craftis and of our sucessouris, thai to be ratifiit and apprufit siclik as thir actis, and to be actit and transsumpt in the common buke of Edinburgh, hafand the samyn forme, force, and effect as this ‘present writ. has, The quhilkis actis+ .ordinance, and devys shewin to ws and considerit we appruf, ratifyes,,and for ws and our successouris confirmis and admittis, in so far as we haf power. In witnes of the quhilk thing to thir present lettres we haf to affixt our commoun sele of caus, togidder with the seles of the ballis of the said burgh for the tyme, in takynyng of appreving of all the thingis aboue writtin, the xv day of October, the yeir of .God jm iiijc seventy and five yeirs.”