Rudyard Kipling
18 Juin 2006

Rosslyn Chapel : debunk ...

La légende face aux aux faits ...

On a tellement raconté de balivernes sur Rosslyn Chapel…

La tête momifiée du Christ serait enterrée sous le pilier dit de l’apprenti, la sainte arche perdue y serait enfouie aussi, et puis le graal encore. Rosslyn serait l’un des 7 chakras géographiques de notre planète.

Des connexions ont aussi été élaborées avec les ovnis de Roswell. (La colline qui fait face à Rosslyn s’appelle Rosswell).

Récemment, le trop célèbre Da Vinci code a encore relancé les imaginations…

Les habitants de Roslin, le village de Rosslyn Chapel, se racontent entre eux une bonne blague : il suffirait maintenant de creuser une piscine sur le parvis de la chapelle pour enfin retrouver Nessie, le monstre du Loch Ness.

On a tellement raconté de balivernes sur Rosslyn Chapel… que l’on oublie de parler des véritables trésors de Rosslyn Chapel.

Parce qu’une fois de plus, la réalité est encore plus intéressante que la fiction…

La Collégiale Saint-Matthieu

La Chapelle de Rosslyn se trouve à peine à quelques kilomètres au sud d’Edimbourg. Il s’agit d’une magnifique construction de style gothique tardif, sûrement l’une des plus « extravagantes » que l’on connaisse en Ecosse.

Si l’architecture du bâtiment est assez conventionnelle, la profusion de sculptures ornementales (superbement réalisées) donnera lieu à toutes les interprétations symboliques imaginables.

Même si la date de fondation officielle de la chapelle est donnée pour être 1446, les travaux semblent avoir commencé dès 1440. Ils dureront une cinquantaine d’années mais ne seront jamais achevés.

En effet,  l’édifice que l’on peut voir aujourd'hui n'est en fait qu'une partie du projet initial, le choeur d'une plus grande construction cruciforme avec une tour en son centre.

Le véritable nom de la Chapelle de Rosslyn: Collégiale Saint-Matthieu, nous indique qu’elle était destinée à devenir un centre d’enseignement.

Près d’une quarantaine d’églises collégiales ont été construites en Ecosse entre les règnes de James I et James IV (1406-1513) et leur importance comme leur facture devront toujours beaucoup à la richesse comme à la personnalité de leur fondateur.

Il faut dire que fondateur de Rosslyn Chapel, William Sinclair, 1st Earl of Caithness, 3rd Earl of Orkney (jusqu’en 1470), Baron of Roslin, n’est pas n’importe qui, puisqu’il est réputé avoir été fait premier Grand Maître des Maçons par James II en 1441, un titre héréditaire que fera valoir en 1601 puis en 1628 son descendant Sir William Sinclair of Rosslyn, ce, avec l’assentiment de William Schaw, l’auteur des Statuts Schaw.

(Les Statuts Schaw sont en cours d’étude par notre frère 1er surveillant et les Chartes Sinclair vous seront bientôt présentées)

C’est encore un William Sinclair of Rosslyn qui deviendra le premier Grand Maître de la Grande Loge d’Ecosse en 1736-1737…

La Famille Sinclair

Les Armes de la Famille St Clair

Mais qui est donc cette famille Sinclair qui entretient de telles relations avec la maçonnerie écossaise depuis près de six siècles ?

La famille Sinclair est depuis mille ans, l’une des plus grandes familles de la noblesse écossaise.

A tel point que quand les auteurs d’ « Amicalement votre » (oui, la série-culte de notre jeunesse), lorsqu’ils voudront créer le personnage-type d’un noble, ils l’appelleront Brett Sinclair (Roger Moore l’incarnera à merveille)…

Roger Moore alias Lord Brett Sinclair dans Amicalement Votre

La famille Sinclair, ou Saint-Clair (St Clair, Santoclair, Sincler…) est d’origine française. Elle tire son patronyme du village de Saint-Clair sur Epte dans le Val d'OIse et situé après Magny en Vexin et sous Gisors (une autre « coïncidence » à laquelle les « vendeurs de mystères » qui manquent souvent de culture n’ont pas pensé).

St Clair sur Epte est un joli village du Vexin Français où fut signé en 911 un traité de paix avec le conquérant Normand Rollon.
http://www.saintclairsurepte.com

Le premier Sinclair à être arrivé en Ecosse s’appelait… William St Clair.

C’était en 1057, il était chargé d’accompagner de Hongrie en Ecosse, Margaret, princesse saxonne promise à Malcolm III alors roi d’Ecosse.

Le Mariage de Malcolm III d'Ecosse avec Margaret de Hongrie

William se mettra au service du roi. Il sera tué en défendant les frontières écossaises contre une attaque anglaise. Son fils Henry, premier St Clair né en Ecosse, recevra alors du roi les terres de Rosslyn en 1070.

Ce même Henry participera à la 1ère croisade et à la chute de Jérusalem en 1096.

Bien sûr, les tenants de la thèse Templière de Rosslyn ont vite fait de dire qu’il fut fait Chevalier du Temple, précisant même que ce fut  à Balantrodoch en 1129.

Malheureusement, notre Henry St Clair, né en 1060, est décédé en 1110. Soit 8 ans avant la création de l’Ordre du temple et 19 ans avant son initiation…

Les Sinclair prospèreront en Ecosse, toujours proches du pouvoir royal, donnant aussi evèques et archevèques à l’église écossaise.

Et maintenant, une histoire d’amour et d’action à Roslin…

Dalhousie Sinclair

1296. Les Anglais ont envahi une partie de l’Ecosse. Edward I d’Angleterre envoie John de Segrave pour gouverner l’Ecosse. Là, au cours de cette brève mission, il succombe à la beauté de l’écossaise Margaret Ramsey of Dalhousie. Il en tombe amoureux. Mais la belle Margaret s’est promise à Henry St Clair de Rosslyn.

En 1302, apprenant que le mariage de Margaret et Henry allait bientôt être célébré, il convainc Edward I d’intervenir, arguant que ce mariage allait encore rapprocher l’Ecosse de la France (ce qui au passage montre, mais nous y reviendrons, à quel point la famille Sinclair était proche de la France).

Segrave entre en Ecosse fort d’une armée de 30 000 hommes, avec comme destination les terres de Sinclair.

Ce sera la bataille de Roslin.

8 000 écossais viendront à bout de 30 000 anglais et Henry épousera Margaret…

Henry, appelé Henry le Patriote, sera le compagnon d’armes de William Wallace et de Robert the Bruce dans les guerres d’indépendance de l’Ecosse. Il sera même l’un des signataires de la déclaration d’Arbroath, la déclaration d’indépendance écossaise.

 

Son petit-fils, Henry St Clair de Rosslyn (c1345 - c.1400) sera lui aussi un sujet de légendes. Cet explorateur aurait voyagé non seulement vers le Groenland, mais il aurait été jusqu’en Amérique.

D’ailleurs, quelques uns ont vu dans certaines décorations sculptées de Rosslyn Chapel des épis de maïs et des cactus aloe vera, prouvant ainsi la découverte de l’Amérique par Henry St Clair plus d’un siècle avant Christophe Colomb.

Il s’agit bien sûr de théories très, très hypothétiques, basées sur des lettres publiées en 1558 (donc après les découvertes de Colomb) dont l’authenticité n’a jamais été prouvée.
Ce qui n’exclue pas d’ailleurs que l’Amérique ait pu être « visitée » avant Colomb, mais il s’agit là d’une autre histoire.

Quant aux épis de maïs ou aux aloe vera à Rosslyn, il faut beaucoup d’imagination pour donner à ces motifs floraux assez classiques dans le floréaire médieval une origine américaine.

William Sinclair of Roslin (1404-1482), fondateur de Rosslyn Chapel.
Mais venons-en au fondateur de Rosslyn Chapel, le petit-fils d’Henry l’exporateur, William, Sinclair of Roslin.

William Sinclair of Roslin sera l’un des lords –si ce n’est le lord- le plus puissant et le plus fortuné d’Ecosse. Issu d’une famille au prestige reconnu de tous, ayant participé à toutes les batailles écossaises. C’est un proche du roi, sa sœur est même mariée au frère de James III.
Il est rapporté que « in his house he was royally served in gold and silver vessels, in most princely manner » et que concernant sa seconde épouse, Elizabeth, « none matched her in all the country, save the Queen's Majesty »

Il fut Lord High Admiral of Scotland et Lord Chancellor of Scotland

Sans doute à cause de ses origines familiales, mais aussi parce que nous sommes en pleine « Auld Alliance », William Sinclair sera toujours très proche de la France. C’est d’ailleurs lui qui sera choisi par le roi pour accompagner la Princesse Margaret en France de 1454 à 1458.

Sir William était un noble cultivé. Il possédait l’une des plus vastes bibliothèques d’Ecosse. Il détenait aussi un important scriptorium où l’on recopiait et traduisait des ouvrages venus de toute l’Europe.

Le fait est à souligner quand on sait que l’on retrouvera souvent dans la chapelle des thèmes identiques à ceux que l’on peut voir sur les enluminures des livres de l’époque. Comme quoi il ne faudra souvent pas chercher très loin les significations des sculptures de Rosslyn…

La source documentaire principale que nous ayons sur les détails de la vie de William Sinclair et de la construction de la Chapelle de Rosslyn est le Père Richard Augustine Hay, du Canon de Sainte-Geneviève à Paris et Prieur de Saint-Piermont. Il a examiné les registres historiques et les chartes des Saint-Clair et a rédigé trois volumes d'études en 1700, quelques parties furent publiées en 1835 en tant que Généalogie des Sainteclaires de Rosslyn. Ses recherches sont capitales puisque de nombreux documents originaux ayant servi à sa rédaction ont disparu peu après.

Voici ce que le Père Hay dit du fondateur de la chapelle:

"Le Prince William, son âge le faisant souffrir, vint à considérer les années qu'il avait passées, et comment il allait employer ses jours restants (notons que William n’a à cette époque qu’une quarantaine d’années). C'est pourquoi, sur la fin de sa vie, afin qu'il apparaisse reconnaissant à Dieu pour les bénéfices qu'il avait reçus de lui, il lui vint à l'idée de construire une maison au service de Dieu, du plus curieux ouvrage; et afin qu'elle puisse être réalisée dans la plus grande gloire et splendeur il fit amener des artistes de toutes les régions et de tous les royaumes étrangers, et fit en sorte d'avoir grande quantité de maçons, charpentiers, forgerons, terrassiers et tailleurs de pierres... Il démarra la fondation de son oeuvre en l'an de Grâce 1446, et jusqu'à la fin, le travail fut des plus fins, il commença par faire faire des esquisses sur des planches à tracer de bois oriental, qu'il donna ensuite à sculpter par des charpentiers qui suivaient les esquisses, sculptures qu'il donna ensuite aux maçons pour servir de modèles, afin qu'ils puissent les faire apparaître tels quels dans la pierre; et parce qu'il trouvait que les maçons n'avaient pas d'endroit convenable où loger... il leur fit construire la ville de Rosline qui est aujourd'hui existante et donna à chacun une maison et des terres. Il récompensa les maçons suivant leur grade; ainsi au Maître Maçon, il donna jusqu'à 40 livres de salaire annuel, et aux autres, 10 livres..."

Roslin, ville de maçons.

William Sinclair pour faire face aux travaux ambitieux de ce qui devrait être une église collégiale (et non une simple chapelle), mais aussi à la reconstruction de son château détruit par le feu en 1447, cristallisera autour de Roslin le meilleur de la maçonnerie écossaise mais aussi européenne. Allant jusqu’à créer le village de Roslin qui ne tardera pas à devenir « burgh of barony » dès 1456 par une charte du roi James II.

L’activité du village dût être importante car comme le précise Hay, il tenait marché tous les samedis et organisait même une foire annuelle à la Saint Simon.

Le lieu devint même très prospère « the chiefest town in all Lothian, except Edinburgh and Haddington, and became very populous by  the great concourse of all ranks and degrees that resorted to the Prince at  his Palace or Castle, for he kept a great Court.»
Il est clair que réaliser de tels travaux, en pleine campagne, sur près de 50 ans, imposa forcément la mise en place d’une logistique importante comme la création d’une nouvelle communauté.

Jusqu’à cette période, les grands travaux de ce type étaient plutôt réservés aux villes importantes, comptant déjà en leur sein leurs propres hommes du métier et structurées pour accueillir un certain flux de population supplémentaire.
Ensuite, il semble évident que si de nombreux corps de métiers devaient êtres présents à Roslin, les maçons devaient y êtres très majoritaires.

Rappelons aussi qu’à ce moment de l’histoire de l’Ecosse, nous sommes dans une phase de prospérité de calme relatif avec le voisin anglais.

Et surtout, comme nous l’avons vu lors de nos précédents travaux, il s’agit là de la période ou les métiers s’organisent, notamment, bien sûr la maçonnerie. Les incorporations de métier se développent (The Incorporation of  Masons and Wrights à Edinbourg en 1475).

C’est dans ce contexte que William Sinclair bâtira Rosslyn Chapel.

Un Wiliam Sinclair que l’on a vu très impliqué dans la construction, puisqu’il n’hésite pas à dessiner lui-même.

Un William Sinclair que l’on dit avoir été nommé par James II Grand Maître des Maçons en 1441.
Si l’on a pas de trace effective de cette nomination, force est de reconnaître que 160 ans plus tard, les maçons eux-mêmes reconnaitront ce patronage à son descendant : « Qu'il soit connu à tous les hommes par la présente, par nous diacres, maîtres, hommes libres des Maçons dans le pays de l'Ecosse, avec le consentement exprès et l'assentiment d'Ilias Schaw, Maître des Travaux, que notre Lord Souverain tel qu'a été observé pendant des siècles parmi nous, que les Lords of Roslin ont toujours été Patron et Protecteur de nous et nos privilèges, comme nos prédécesseurs ont obéi et accepté comme Patrons et Protecteurs… » Charte accordée par les Maçons de l'Ecosse à William Sinclair of Roslin en 1601.

27 ans plus tard, ces mêmes maçons ou plutôt leurs successeurs renouvelleront cette reconnaissance « Qu'il soit connu à tout le monde par la présente, que nous, les diacres, maîtres, hommes libres des maçons et marteleurs, dans le royaume d'Ecosse, comme pendant des temps il a été respecté parmi nous et nos prédécesseurs, que les Lords de Roslin ont toujours été patron et protecteur de nous et nos privilèges, comme nos prédécesseurs les ont obéis, révérés et reconnus comme patrons et protecteurs, dont ils possédaient des lettres de protection et d'autres droits concédés par les progéniteurs bien mémorisés et les plus nobles de Sa Majesté, qui avec beaucoup d'autres des Lords de Roslin, étant donné que son document a été consumé et brûlé dans une flamme de feu dans le château de Roslin… »

La question qui se pose n’est pas tellement de discuter du bien fondé de ce patronage mais plutôt de son contenu. Comment notre William Sinclair a-t-il exercé ce patronage des 1446 ? Et qu’a-t-il apporté à la maçonnerie ?

On remarquera que la date donnée de sa nomination (1441) comme Grand Maître de Maçons coïncide avec le tout début de premiers travaux de Rosslyn Chapel (1440).

A-t-il construit Rosslyn avec une telle ambition pour répondre à sa nomination ou a-t-il été nommé Grand Maître de Maçons parce qu’il avait un tel projet ?
A quel point ses moyens financiers et politiques, mais aussi la personnalité d’un homme aussi puissant ont-il pu influer sur le Métier ?

« William Sinclair s’est énormément investi dans la construction de Rosslyn » nous dit Hay. Ce sera l’œuvre d’une vie, une œuvre qui s’arrêtera à sa mort d’ailleurs, puisqu’après son inhumation dans la chapelle, son fils Oliver arrêtera les travaux après avoir fait la toiture des bâtiments construits.

Les mystères de la Chapelle de Rosslyn.
Passons maintenant aux fameux mystères de la Chapelle de Rosslyn…

Concernant l’édifice lui même.

On peut lire ici et là qu’il a été réalisé selon le plan du temple de Salomon.
C’est faux. On connaît si bien le plan actuel que le plan général du projet initial. C’est simple. Rien à voir. On se demande encore comment certains peuvent écrire de telles sottises alors que tout cela est clairement vérifiable.

Le cœur que nous connaissons aujourd’hui est en fait très proche au niveau de la conception de celui de la cathédrale de Glasgow, mais en plus petit. Le département d’histoire de l’université de Glasgow qui a longuement étudié le sujet en donne toutes les preuves à celui qui veut bien se donner la peine de se documenter un peu.

Certains détails architecturaux rappellent Melrose Abbey et il est fort probable que John Morrow (dont nous avons parlé lors de notre précédente étude) ou ses élèves aient participé à la construction.

Concernant les décors sculptés de la chapelle.

Il est extraordinaire de voir ce que l’on a pu faire dire à ces sculptures. On est tellement choqué par les inepties que l’on peut entendre que l’on en oublierait de relever le plus important : que ces décorations sont absolument magnifiques.

Qu’elles soient toutes d’un symbolisme particulier. C’est certain. Mais n’importe quel historien de l’art roman et gothique, un peu averti, les décryptera assez aisément sans qu’il soit besoin de recourir à des délires maniaco-symboliques ne reposant sur rien sinon sur des visées sensationalistes.

Les représentations sculptées de Rosslyn Chapel abordent des sujets très classiques que l’on retrouve un peu partout en Europe comme sur les enluminures des livres que possédait William Sinclair. Elles avaient pour mission selon une codification très précise et connue de tous à cette époque d’instruire le Chrétien.

Ce n’est pas parce que nos contemporains, baignés dans une culture fort différente ne comprennent plus rien à ce langage qu’il faut lui faire dire n’importe quoi….

Le Chapiteau de l’Initié

Nous n’aurons pas le temps ici de rentrer dans le détail de ces décryptages, ce qui est bien dommage.

Nous nous contenterons de prendre pour exemple un des chapiteaux de Rosslyn Chapel qui a fait couler le plus d’encre et qui concerne plus directement la Franc-Maçonnerie.

Il s’agit d’un chapiteau situé à l’extérieur de la chapelle sur la première fenêtre (en partant du sud ouest). Si la sculpture a subi l’érosion du temps, on y voit malgré tout assez clairement un homme à genoux, les yeux bandés, la main sur la bible ( ?),  une corde autour du cou tenue par un autre homme situé derrière lui.

Bien sûr, la vision est des plus surprenantes pour un Franc-Maçon tellement elle rappelle un moment précis de notre initiation.

Bien évidemment, certains comme le Dr Robert Lomas, auteur du trop fameux livre « La Clé d’Hiram » ont plongé sur l’aubaine, annonçant la preuve faite de la connexion entre les Templiers et la Franc-Maçonnerie.

Nous reviendrons tout à l’heure sur les Templiers, mais il est temps de dévoiler ici un mystère qui n’en est pas un.

La Clé que Robert Lomas n’a pas trouvée était tout simplement dans la Bible. Elle n’était pas cachée et tout chrétien du XVème siècle y aurait pensé immédiatement en voyant ce chapiteau, parce que, lui, il connaissait la Bible : Luc, Chapitre 22 versets 63 et 64

Un homme à genoux, les yeux bandés, une corde autour du cou…

J’ai dû trouver une bonne dizaine de tableaux, de gravures ou… d’enluminures représentant ce sujet-là entre le XIIème et le XVIème siècle. Des oeuvres signées Dürer, Fra Angelico, Grünewald ou Duccio par exemple, exposées dans les plus grands musées du monde.

Mais qui a fait la recherche, en se plaçant dans la perspective culturelle de l’époque ?

Un homme à genoux, les yeux bandés, une corde autour du cou… est à l’évidence pour le Chrétien du XVème siècle la représentation du Christ outragé et humilié. « Mocking the Christ ».


Bible anglaise de Wyclif en 1380 :

63 And the men that helden hym scorneden hym, and smyten hym.
Et les hommes qui le tenaient, se moquèrent de lui et le frappèrent
64 And thei blynfelden hym, and smyten his face, and axiden hym,
Et ils lui bandèrent les yeux et le frappèrent au visage et lui demandèrent
and seiden, Arede, thou Crist, to vs, who is he that smoot thee?
Et dirent, prophétise , toi Christ, qui est celui qui t’a frappé ?

Bible de King James :

63 And the men that held Jesus mocked him, and smote him.
64 And when they had blindfolded him, they struck him on the face, and asked him, saying, Prophesy, who is it that smote thee?

La preuve. Les preuves.

La question pour un Franc-Maçon du XXIème siècle, à la vue d’un tel chapiteau, ne devrait pas être anachroniquement : s’agit-il d’une initiation d’un Franc-Maçon en 1450 mais bien plutôt : en quoi cette scène a-t-elle pu inspirer nos prédécesseurs maçons ? Peut-il y avoir eu une transmission même partielle et déformée de cette allégorie, et comment ? Enfin, peut-il y avoir une dimension christique, de cet ordre, à ce moment de la cérémonie que nous pratiquons aujourd’hui ? Mais il s’agit là d’un tout autre débat, sûrement plus difficile encore…

Le Pilier de l’Apprenti

Puisque nous sommes dans les allégories maçonniques, il est sans doute temps de parler ici du fameux pillier dit « de l’apprenti » à Rosslyn Chapel.

Le Pilier de l’apprenti, ou plutôt Pilier du Prince puisque c’est sous ce nom qu’il est originellement désigné, est l’une des pièces maîtresse de la chapelle. Son fût est le seul de la chapelle à être magnifiquement ouvragé d’un décor floral torsadé.

La légende raconte que « … un modèle de ce pilier fut envoyé de Rome ou de quelque autre lieu à l’étranger, à la vue de celui-ci, le maître-maçon refusa de travailler sur un tel pilier sans s’être rendu à Rome ou en quelque autre lieu à l’étranger pour réaliser une inspection précise du pilier dont le modèle avait été tiré; en son absence, un Apprenti finit le pilier tel qu’il est aujourd’hui : et le maître à son  retour, voyant le pilier si superbement achevé s’enquit de qui l’avait réalisé ; et poussé par la jalousie, tua l’apprenti. »

 « …a model of this pillar had been sent from Rome, or some foreign place, the master-mason upon viewing it, would by no means consent to work off such a pillar, till he should go to Rome, or some foreign part, to take exact inspection of the pillar from which the model had been taken; that, in his absence, whatever might be, the occasion of it, an Apprentice finished the pillar as it know stands: and that the master upon his return, seeing the pillar so exquisitely well finished made enquiry who had done it; and being stung with envy, slew the apprentice. » « An Account of the Chapel of Roslin » Robert Forbes, 1774

On a bien évidemment vu ici une légende qui pourrait bien être un matériau ayant nourri la légende d’Hiram…

Etrangement, cette légende n’est citée à aucun moment par le Père Richard Augustine Hay qui avait eu accès aux documents originaux de la famille Sinclair. Elle apparaît en 1774 dans une petit opuscule édité par l’évêque Episcopalien Robert Forbes « An Account of the Chapel of Roslin ». Elle sera aussi reprise dans une version piratée par James Murray en 1778.

On se dit à ce moment que, si l’on considère que la légende d’Hiram telle que nous la connaissont semble s’être formée aux alentours des années 1725/1730, c’est avec 50 ans de retard que surgit cette légende de Rosslyn.

Pourtant, la lecture de l’ "Account of a Tour in Scotland" de Thomas Kirk daté de 1667 se révèle bien plus surprenante :  « …Deux miles plus loin, nous avons vu Roslen Chapel, d’une très jolie facture, mais qui ne fut jamais terminée, le chœur seulement et une petite crypte… on nous a raconté cette histoire, que le Maître constructeur partit sur le continent pour voir de bons dessins, mais avant son retour son apprenti avait construit un pillier qui dépassait tout ce qui avait pu être fait, il le tua donc ; on nous montra la tête de l’apprenti sur le mur avec sa blessure sur le front et la tête du maître à l’opposé »

"Two Miles Further on we saw Roslen Chapel, a very pretty design, but was never finished, the choir only and a little Vault. The roof is all stone, with good imagery work; there is a better man at exact description of the stories than he at Westminster Abbey: this story is told us, that the Master builder went abroad to see good patterns, but before his return his apprentice had built one pillar which exceeded all that ever he could do, or had seen, therefore he slew him; and he showed us the head of the apprentice on the wall with a gash in his forehead and his master's head opposite him." Thomas Kirk, "Account of a Tour in Scotland" 1677.

Cette légende aurait donc très bien pu inspirer notre légende d’Hiram puisqu’elle est rapportée de façon certaine environ 60 ans plus tôt.

Quelques recherches sur le sujet nous apprenent vite que de nombreusecrochet de l’apprenti à Gloucester Cathedrals légendes similaires existent un peu partout. Celle du « Prentice Bracket », le crochet de l’apprenti à Gloucester Cathedral met aussi en scène un Maître qui tuera son apprenti. Celle de Lincoln Cathedral nous rapporte comment un Maître dépassé par son apprenti se tuera lui même. Bernard E. Jones cite celle du  minaret de l’apprenti de la  Mosquée de Damiette en Egypte (dont, j’avoue, je n’ai trouvé aucune trace).

Crochet de l’apprenti à Gloucester Cathedral

Abbatiale Saint Ouen de Rouen

Mais la légende concernant le vitrail de l’apprenti de l’abbatiale St Ouen à Rouen est surement celle qui suscitera pour nous le plus d’intérêt. La légende dit que, fou de jalousie, le Maître tua son apprenti parcequ’il avait réalisé une rose beaucoup plus belle que la sienne. Outre la similarité de l’histoire, il est surprenant d’apprendre aussi que la rose en question est celle qui inspira celle de Melrose Abbey (Murray).

Melrose Abbey

Melrose Abbey dont de nombreux éléments architecturaux font penser que selon toute vraissemblance, les constructeurs ont participé à l’édification de Rosslyn Chapel. Soulignons aussi que les Sinclair sont originaires de Normandie (Saint Clair sur Epte est à 50 km de Rouen).

Quoi qu’il en soit, ce matériel mériteraient une étude plus approfondie. Puisqu’il faut bien le dire l’apparition dans notre Franc-Maçonnerie de la légende d’Hiram reste encore bien peu claire.
Voir à ce sujet l’article fort documenté de Roger Dachez « Hiram et ses Frères » dans Renaissance Traditionnelle

 

Le Marketing ésotérique du Da Vinci Code

Pour changer, nous allons finir par le pire.

Je veux parler du marketing ésotérique du « Da Vinci code » qui fait de Rosslyn Chapel le point d’orgue de son livre.

En fait, Dan Brown, l’auteur du livre est ce que l’on pourrait appeler un champion de la mayonnaise. Il n’a pas inventé grand chose, il a compilé une espèce de « best of » des délires ésotériques auxquels personne d’averti ne croyait et il en a fait un polar moyen, mais écrit selon les techniques du « teasing » sur un fond marketing de journal « people ».

Alors bien sûr, Léonard de Vinci a bien peint Saint Jean aux côtés du Christ et non Marie Madeleine. (A partir de la renaissance, Saint Jean, incarnant la pureté est très souvent représenté sous des traits très fins et nous connaissons des dizaines d’œuvres montrant un Saint Jean aux traits fins et aux cheveux longs. Par ailleurs le même Léonardo peignant son autre Saint Jean, le Baptiste, représente celui-ci aussi sous des traits presque féminins)

Le prieuré de Sion est une vaste pantalonade montée de toutes pièces par un Pierre Plantard qui s’est créé à l’aide de faux grossiers une ascendance mérovingienne et qui n’a pas hésité pour faire bonne mesure à accoler à son nom trop banal  un « de St Clair » lui conférant une noblesse et un lignage à pas cher.

Non. Rosslyn ne dérive absolument pas de Roseline Rose-line, mais de « Ross » promontoir, colline et « Lynn » cours d’eau, ce qui évoque exactement l’endroit, la rivière Esk entourant une colline où se trouve le château de Roslin.

Non. Rosslyn ne se trouve pas sur l’ancien méridien de Paris. Loin s’en faut.

Non, vous pouvez toujours chercher, il n’y a aucune étoile de David sur le sol de Rosslyn Chapel.

Et puis non, Rosslyn Chapel n’a pas été construite par les Templiers. D’abord parce qu’en 1446, l’ordre du temple avait été dissout depuis pas moins de 134 ans soit près de 7 générations. Autant de temps séparent Rosslyn Chapel des derniers Templiers que nous de Napoléon III.
Ensuite parce que rien de tangible ne montre une quelconque connexion de Rosslyn Chapel ou des Sinclair avec l’Ordre du Temple. Le seul élément que nous possédions date de 1309, il s’agit du procès fait contre l’Ordre du Temple à Holyrood à Edinbourg. La Famille St Clair sera appellée à témoigner.

Et elle témoignera contre ces mêmes templiers.

En fait cette légende templière de Rosslyn est assez récente. Richard Augustine Hay, ne parle bien sûr à aucun moment de quelque relation que ce soit avec les Templiers. Ni Robert Forbes, ni James Murray. Ni même Walter Scott, Robert Burns ou William Wordsworth à qui Rosslyn ont inspiré certains écrits et poèmes. Ni encore personne d’autre.

Dan Brown a en fait repris les thèses de Robert Lomas et Christopher Knight, les auteurs de « La Clé d’Hiram » qui n’ont pas fini d’inspirer livres de marketing ésotérique et des élucubrations en tout genre.

Non, la croix des Sinclair n’est pas une croix templière. Il s’agit d’une croix engrêlée assez commune en héraldique.

Le problème est que la traduction anglaise de engrêlée est « engrailed », une simple homonymie peut faire penser à « grail » le Graal. L’étymologie étant pourtant fort lointaine (engrêlée vient de grêle, du latin gracilis, fin ; alors que Graal vient de gradale, vase)

La première mention que je connaisse d’une relation entre le Graal et Rosslyn est assez « honteuse » il faut bien le dire. Peut-être est-ce la raison pour laquelle on n’en fait pas souvent état.

Pourtant, le 9 mai 1930, un certain Dr Karl Hans Fuchs signait le livre des visites de la Chapelle. Fuchs raconte qu’il avait été envoyé par Rudolf Hess, parce que celui ci pensait que le Graal se trouvait à Rosslyn Chapel…

Alors pourquoi les mystifications de Dan Brown connaissent-elle un tel succès ?
Simplement parce que tout le monde y trouve son compte.

Dan Brown d’abord, bien sûr qui est devenu un phénomène de l’édition. Rosslyn Chapel aussi, qui a vu passer son nombre de visites de 15 000 par an il y a quelques années à 117 000 en 2005. (Notons que le prix des entrés est de 7£, ce qui n’est pas rien) Une manne touristique, donc, dont tout le monde profite. Et il est bien évident que personne n’a interêt à casser des légendes qui rapportent autant à tout le monde.

Les éditeurs ensuite qui n’en finissent pas de publier des livres sur le livre.
Et puis, il faut bien le dire aussi, tout un chacun, qui en quelques lectures croit avoir compris, sans forcer, les mystères cachés de ce monde.

Tout cela ne doit pas faire oublier que tout d’abord, Rosslyn Chapel est un véritable joyau architectural.

Mais aussi, pour ce qui nous préoccupe plus directement, que les liens entre Rosslyn Chapel et la maçonnerie écossaise sont certains. Et que notre Franc-Maçonnerie prend sans doute l’une de ses nombreuses racines à Rosslyn.

Il semble que la fantastique profusion historique et symbolique du lieu ait donné naissance à une autre histoire, complètement fantasmatique et chimérique celle-là.

Est-ce pour cela que s’est créé à Roslin dès 1993 le Roslin Institute, le laboratoire de biologie génétique qui a cloné Dolly et donnée naissance à la première brebis chimère ? Mais c’est une autre histoire…